Budapest, Pourquoi J'aime Cette Ville
Vue nocturne, depuis Buda, du Pont des Chaînes, de Pest et du Parlement - ph. visithungary.com
Vue nocturne, depuis Pest, de la colline et du château de Buda - ph. visithungary.com
"C’était un bel octobre ensoleillé ; les effluves d’automne qui montaient de l’eau attiédie purifiaient l’air enfumé de la ville et, parfois, les rousses collines de la rive de Buda saluaient la rive de Pest de leur odeur de feuilles mortes. Lorsque s’allumaient les réverbères, les eaux du Danube se mettaient à bercer leurs reflets couleur de lune, et le souffle de la brise les effilochait en minces lueurs dorées qui, chevauchant des vagues à peine perceptibles, allaient se perdre entre les deux rives." Tibor Déry - 1957
PREMIERE PARTIE - Budapest est comparable à un phénix cet oiseau mythique, caractérisé par son pouvoir de renaître après s'être consumé dans les flammes. Il symbolise le cycle de mort et de résurrection. C’est ce que m’a inspiré Budapest lors d’un récent séjour. Je n’imaginais pas cette ville aussi séduisante et glorieuse. Je la croyais, comme beaucoup, encore aujourd'hui, noire, meurtrie par les violences de la Deuxième Guerre mondiale et celles du joug soviétique. Soixante dix-huit ans après l’une et trente-cinq ans après la chute du rideau de fer, Budapest s’est extirpée de ses ruines - avec l’aide de l’Union Européenne - grâce à une détermination sans faille, pour le plus grand bonheur des visiteurs.
Quand on ignore tout d’une ville qui possède des milliers de beautés, le mieux est d’avoir une vue d’ensemble, par exemple depuis l’impériale d’un Bus Rouge, et de se laisser guider. Rien à faire si ce n’est d’ouvrir grand les yeux, pour apprécier l’étonnante diversité architecturale des bâtiments, le dessin des perspectives et l’animation des quartiers, chics ou populaires. Habitant à deux pas de Szécheny István Ter, un long et joli square arboré longeant le Danube et le Pont des Chaînes, garni de statues - dont celle en bronze du remarquable comte réformateur Istvan Szécheny - de massifs fleuris et encadré de bâtiments superbes, terminus du Bus, j’avais un trajet tout trouvé.
Circulons avec le Bus Rouge - En l'attendant, on peut admirer la façade du Palais Gresham. Somptueuse construction Avant-garde viennoise ou Sécession, tous les arts décoratifs y sont représentés. Elle avait abrité la compagnie d'assurance-vie Gresham Life Assurance Society, fondée à Londres.* Achevée en 1906, elle servait d'immeuble de bureaux ainsi que de résidence pour de riches aristocrates britanniques liés à la compagnie. Pendant la période d'occupation soviétique, des officiers y résidaient. Devenue vétuste, elle fut utilisée comme immeuble d'habitation sous la République populaire de Hongrie. En 2001, achetée et sauvée par un groupe hôtelier, elle fut restaurée et réaménagée avec un goût parfait.
Le Palais Gresham avec sa façade, son décor sculpté et ses tourelles
Art Nouveau - ph Wikipedia
Après avoir admiré ce joyau architectural, tournez-vous vers la gauche et regardez bien le majestueux bâtiment néo-Renaissance italienne** de l'Académie Hongroise des Sciences. Il donne l’impression d’un palais italien de par son architecture qui met en valeur la symétrie, les proportions, la régularité et l’équilibre. Avec ses trois niveaux dont le rez-de-chaussée est travaillé en ronde-bosse comme à Florence, ses hautes fenêtres en plein cintre, ses pilastres à l’antique, ses petites ouvertures bilobées qui donnent de l’élan à la perspective et sa corniche, on ne réalise pas qu’on se trouve en Europe centrale. Ni que l'architecte était prussien ! C’est le premier monument de ce style à Budapest
Le Hall de Réception du Gresham dit aussi Galerie
et sa somptueuse verrière - ph Wikipedia
L'Académie Hongroise des Sciences de style néo-Renaissance italienne
A quelques pas, dans la rue qui longe l'Académie, se trouvent des bâtiments également de style italien, comme celui de cette photo : les murs sont recouverts d'un crépi ocre doré, on a la même harmonie des proportions, la même sobriété en matière de décoration - presque minimaliste à une époque où d'autres constructions jouent sur un style néo-baroque très ornementé qu'on verra plus loin.
Encore un quart de tour et vous avez sous les yeux un panorama unique : le Pont des Chaînes, le Danube qu'il enjambe et la colline de Buda couronnée du Palais de Budavár ou Palais Royal qui fut la résidence des rois de Hongrie. J'ai choisi ces vues nocturnes en introduction pour vous montrer ce superbe ensemble classé au Patrimoine mondial de l'Unesco. Bien sûr, j'y reviendrai lors de mon périple.
Mais aussi la première Académie de Hongrie : créée en 1825 avec des fonds privés - dont ceux d'Istvan Szécheny - elle a ouvert ses portes en 1865. Très dynamique, elle compte onze sections de recherches Linguistique, Philosophie, Mathématiques, Agriculture, Sciences médicales, Sciences chimiques, Sciences biologiques, Sciences économiques et juridiques, Géologie et Sciences physiques. Elle gère également une dizaine d’ instituts et de centres de recherches, bibliothèques et archives.
Immeuble à l'italienne faisant angle, à quelques
pas du Parlement.- ph de l'auteur
Car, le Bus va enfiler la très commerçante et dynamique rue József Attila (1905-1937) du nom de l’un des plus grands poètes hongrois du XXè siècle, éternel révolté, mort très jeune, qui clamait "Je ne veux qu’un lecteur pour mes poèmes. Celui qui me comprend, celui qui m’aime." Puis il va pénétrer dans la plus belle avenue de Budapest,- parce que la plus riche et la plus diverse sur les plans architectural et urbanistique - l'avenue Andrassy, après un crochet par la rue Dohany pour stopper un instant devant l'élégante et lumineuse synagogue, dite La Grande Synagogue.
La façade et les deux tours à bulbe de la Grande Synagogue -ph. de l'auteur
C’est l’une des plus importantes d’Europe, dans le quartier d’Erzsébetváros (c’est-à-dire quartier Elisabeth nommé en l’honneur de l’impératrice d’Autriche et reine de Hongrie très estimée par les Hongrois). Conçue pour environ 3000 fidèles, et édifiée entre 1854 et 1859 sur les plans d’ un architecte autrichien catholique - à une époque où les religions semblaient vivre en bonne intelligence - cette synagogue mélangeant des influences byzantines et romanes frappe par l’ élégance de sa façade majestueuse et raffinée, offrant un appareil de pierre claire et de brique rouge.
Elle est flanquée de deux tours - à bulbe - de 43 m de hauteur qui semblent imposer une immense dignité face à toutes les souffrances infligées aux Juifs de la ville lors de l'invasion nazie. L’intérieur au décor grandiose comportant d’imposants lustres, a été doté d’un orgue, une première à l’époque de sa construction vu qu’il est interdit de jouer d’un instrument de musique lors des grandes célébrations. Le compositeur hongrois Franz Liszt fut invité à en jouer le jour de l’inauguration.
Le bâtiment a été endommagé par le parti pro-nazi des Croix fléchées en février 1939, puis utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale comme base de la radio allemande, et comme écuries ...
Son jardin a été aménagé sur une partie de l’ancien ghetto, où une grande partie de la communauté juive de Budapest a été coupée du monde extérieur par un mur élevé à l’automne 1944. On peut s’y recueillir aujourd'hui devant le saule pleureur - sculpté par l’artiste Imre Varga - offrant des feuilles d'acier gravé en hommage aux 600 000 Juifs hongrois martyrisés.
La turbulente carrière de Gyula Andrassy et l'avenue qui porte son nom - Longue de presque 3 km, et menant au Bois de la Ville - le Bois de Boulogne de Budapest - elle a été nommée en hommage à l'un de ses concepteurs le comte Gyula Andrassy (1823-1890), révolutionnaire, homme d'État austro-hongrois. Premier ministre du Royaume de Hongrie puis ministre impérial. Sa famille est indissociable de l’histoire de l’empire austro-hongrois, malgré le fait que ses membres fussent vus comme d’éternels séditieux par la maison impériale. Beau, idéaliste, passionné et opportuniste, Andrassy se fait remarquer par ses discours enflammés et son adhésion aux thèses libérales du moment. En effet, en ce milieu de XIXe siècle, après les guerres napoléoniennes, un vent de revendications souffle sur la Hongrie, en même temps que sur la Bohème, la Croatie, la Serbie et bien d’autres pays européens. Voyez ce qu’il se passe à la même période en Russie, en cliquant sur Tourgueniev et Compagnie à Baden.
Le gouvernement autrichien reste féodal, centralisé à Vienne et sourd aux demandes de changement des populations.
Le 3 mars 1848, peu de temps après l'annonce de la révolution en France, Lajos Kossuth*** dans un discours vigoureux exige un gouvernement parlementaire pour la Hongrie et un gouvernement constitutionnel pour l'Autriche, (la révolution a éclaté en Autriche 10 jours plus tard). Le mouvement libéral de Kossuth devient révolutionnaire, au point de tourner en insurrection contre la domination des Habsbourg. Ses objectifs : établir les droits et libertés du peuple, promulguer des réformes agraires, remettre totalement en question les pratiques féodales, dont les privilèges fiscaux.
Quand Kossuth lance sa rébellion, menée en grande partie par les classes moyennes et quelques nobles, il nomme Andrassy “ambassadeur du gouvernement révolutionnaire” mis en place.
Portrait de Lajos Kossuth par le peintre Miklós Barabás
Simultanément, en Autriche, Metternich, garant depuis longtemps de l'ordre issu du Congrès de Vienne qui assure à l'Europe une “durable stabilité”, mais censeur impitoyable, détesté des réformateurs, tenant la classe ouvrière sous contrôle constant, est lâché par l’empereur Ferdinand V.
Portrrait de Gyula Andrassy par Gyula Benczùr - 1884
Il démissionne et s'enfuit en Angleterre. Fin 1848 : considéré comme faible d’esprit et peu subtil, Ferdinand est poussé vers l’abdication. Le 2 décembre, François-Joseph 1er monte sur le trône à 18 ans, promulgue une Constitution conservatrice et centralisatrice en mars 1849, sans accorder quelque autonomie que ce soit aux minorités.
En Hongrie, le 14 avril, la Diète annonce son indépendance vis-à-vis de la Maison de Habsbourg-Lorraine et proclame la République. Lajos Kossuth est alors nommé “régent” investi des pleins pouvoirs. Cependant, les autres États européens ne reconnaissent pas l' indépendance de la Hongrie. Envoyé en mission auprès des Ottomans afin qu’ils viennent en aide aux insurgés, Andrassy et les siens sont mis en déroute.
L'Armée révolutionnaire de libération remporte quelques victoires, mais elle est écrasée par les autrichiens alliés aux Russes. Et, le 13 août 1849, les dernières unités hongroises capitulent. Dans les semaines qui suivent, les meneurs du soulèvement hongrois sont exécutés. Le 2 octobre, les derniers révolutionnaires rendent les armes face aux Autrichiens. Le 6, l'ancien ministre-président Lajos Batthyány est exécuté à Pest. Kossuth, le représentant le plus important du mouvement, s'exile en août 1849 à Turin. Andrassy , quant à lui, condamné à mort par contumace, prend la route pour Paris, un exil de 8 ans commence.
Portrait de François-Joseph d'Autriche en 1851 par le peintre Johann Ranzi - Wikipedia
Surveillé par les espions de François-Joseph, il se fait discret. Dans le milieu politique et mondain qu’il fréquente, il rencontre Napoléon III et le baron Haussmann qui sont en train de réinventer la ville de Paris : modernisée, assainie et aérée par de larges avenues linéaires, des places en étoile, des normes de construction des immeubles privés ou de rapport très strictes, des réalisations de prestige et beaucoup d' espaces verts gratuits.
Il retiendra la leçon pour moderniser Pest.
Andrassy vit en exil jusqu’à l’amnistie de 1857. Au fil des ans, son attitude a évolué, il fait savoir qu'il est prêt à revenir à une politique modérée, particulièrement pour faire face au danger du panslavisme qui guette l’Europe. Élu à nouveau député en 1861 à la Diète hongroise, il siège au parti de Ferenc Deák**** avocat, fin politicien, ennemi de la violence et prônant une reconnaissance de l'autonomie hongroise au sein de la monarchie. Celui-ci réussira en 1867 à faire adopter par François-Joseph la double monarchie d’Autriche-Hongrie, remplaçant ainsi l’Empire d'Autriche, lui-même issu en 1804 de l’empire des Habsbourg.
Malgré ses réticences, le jeune empereur va faire d’ Andrássy son principal interlocuteur. Ce sera un duo efficace auquel s’e joindra l’impératrice Elisabeth. Le couple impérial lui accorde une totale confiance. En juin 1867, François-Joseph et Elizabeth sont solennellement couronnés roi et reine de Hongrie en l’église Matthias de Buda. La glorieuse “Messe hongroise du Couronnement” est composée et dirigée par Franz Liszt à cette occasion. Ce bas-relief en bronze montre la pose de la couronne sur la tête de François-Joseph.
Andrassy qui a sa patrie très à coeur, va pratiquer une politique radicale - cependant maladroite - de magyarisation*****, aux dépens des minorités. Il devient le premier Premier Ministre de Hongrie de la nouvelle monarchie de 1867 à 1871.
Bas-relief figurant sur la base du monument équestre dédié à Gyula Andrássy, construit en 1906 par György Zala.
Naissance de l’avenue Andrassy - En 1870, après de longues batailles politiques et budgétaires - on est en pleine époque de travaux municipaux intensifs - le plan d’ Andrássy est approuvé. Il est devenu indispensable de ventiler les quartiers centraux anciens tout en les soulageant du trafic. Un axe en ligne droite est tracé menant vers le Bois de la Ville (Városliget). Cette perspective va ainsi donner l’occasion de construire un autre grand axe aéré et très affairé, l'actuel Grand Boulevard. Ces deux voies se croisant sur l'actuelle place Oktogon, de forme octogonale. On retrouve ainsi l’une des idées majeures du baron Haussmann : décongestionner le centre par de longues, larges et élégantes trouées avec, de façon intransigeante, un gabarit, un ordonnancement et un style de façade précis des bâtiments.
Immeuble de grand luxe à deux étages avec magasins et café au rez-de-chaussée et façade en pierre taillée en ronde-bosse - ph. de l'auteur
L’avenue, qui, au départ, portait le nom de Sugárút, devenue Andrassyùt en 1885, a été conçue en divisant sa longueur en trois tronçons distincts socialement. Un 1er tiers très commerçant et animé, avec des immeubles d'appartements de 3 à 4 étages dans un style dit éclectique. Un 2è tiers - à partir de l'Oktogon - comportant des immeubles d'appartements de 1 à 2 étages et même des “immeubles-palais” ou hôtels particuliers à la magnifique architecture de style néo-Renaissance avec réminiscences haussmanniennes, mise en valeur par l’Opéra tout proche.
Justement, avant de parler du 3è tiers, descendons du Bus Rouge et admirons l'Opéra, orgueil de l'avenue.
Un des deux bassins avec fontaine encadrant la porte cochère d'un hôtel particulier à la façade sculptée somptueuse - ph. de l'auteur
Opéra d'Etat Hongrois conçu par l'architecte Miklós Ybl, terminé
en 1884 - ph. de l'auteur
Décoration fastueuse du grand vestibule de l'Opéra - ph. de l'auteur
En 1873, le directeur du Théâtre National, surchargé par les programmations musicales, théâtrales et lyriques, propose la construction d’un opéra. Année même de la création de Budapest où Buda et Pest sont réunies - l’idée d’un bâtiment de prestige est vite acceptée et le projet est approuvé par François-Joseph. Financé par l’empereur lui-même, ce dernier désire un pendant à celui de Vienne, mais sous deux conditions : d’abord qu’il ne soit pas plus haut ni plus vaste que celui de Vienne, ensuite qu’il soit l’accomplissement de spécialistes, artistes et artisans hongrois, et élevé et décoré avec des matériaux provenant exclusivement de Hongrie. L’architecte désigné est le très coté Miklós Ybl qui remplit le contrat à 90% et fait appel à une multitude d’artistes et d'entreprises renommés.
Ybl parviendra, pour l’extérieur de style néo-renaissance italienne mêlé de baroque, à concevoir une sorte d’écrin de pierre très équilibré et, pour l’intérieur, à déployer une décoration luxuriante alliée à des performances techniques hors du commun. : acoustique exceptionnelle et mécanismes hydrauliques pour les effets scéniques. D’autant plus qu’iI a compris qu’il était capital de créer une oeuvre d’art globale, urbaine et architecturale pérenne, dans l’optique de la célébration du Millénaire en 1896. Laquelle occupera des milliers d’ouvriers, ingénieurs et artisans pendant des années jusqu’aux festivités Place des Héros.
Le bâtiment se place dans la lignée des palais italiens : on retrouve pour la façade leurs caractéristiques avec deux niveaux à colonnes et pilastres aux chapiteaux corinthiens et des balcons accessibles depuis de hautes fenêtres en arcades. La corniche est ponctuée de statues de compositeurs célèbres, tandis que le porche en avancée est flanqué des statues du compositeur hongrois Franz Liszt, et de Ferenc Erkel, musicien hongrois très populaire, père de l’hymne national, premier directeur de l’Opéra. Statufiés de leur vivant !
L’intérieur offre un impressionnant déploiement de fresques néo-pompéiennes, de dorures, de sculptures, de lustres, de lampes, de colonnes de marbres de couleur, d' éléments décoratifs inédits et d’un escalier à double révolution. Lors de l’inauguration le 27 septembre 1884, François-Joseph put apprécier que selon sa volonté le volume et l’apparence du bâtiment étaient loin d’atteindre ceux de l’Opéra de Vienne, mais il fut si frappé par la beauté de la décoration intérieure que son égo en fut chiffonné, à un point tel qu’il n’y remit jamais les pieds ! On a beau être à la tête d'un immense empire constitué de multiples pays aux populations disparates et considérables, on n'en possède pas moins une mentalité de petit bourgeois !
Musée de la Terreur, avenue Andrassy
ph de l'auteur
En continuant l’avenue Andrassy et, après avoir traversé le trépidant carrefour de l’Oktogon, nos pas nous mènent sur deux lieux chargés chacun d’une histoire totalement opposée, comme si le hasard avait voulu placer à quelques mètres d'écart, l'enchevêtrement mortifère des comportements humains. Le premier évoque le passé innommable de la Seconde Guerre mondiale, le Musée de la Terreur, l’autre l’appartement de Franz Liszt, un passé de génie créatif musical, pacifique et profondément émouvant. Terror est le mot que l’on peut lire découpé dans l’auvent métallique du toit, se reproduisant de façon spectaculaire sur la façade par temps clair comme sur la photo. L'adresse est hautement symbolique, car elle est l’ancien siège des Croix-Fléchées, alliés des nazis et plus tard celui de la police politique communiste de 1945 à 1956. Le bâtiment, ancien hôtel particulier volontairement badigeonné de crépi gris acier se veut le témoin des atrocités commises par les deux régimes et un hommage à la mémoire des victimes. Il fait tache sur la belle avenue, mais c'est une tache nécessaire.
Quasiment en face, la rue Vörösmarty abrite, dans un immeuble néo-italien, typique de la capitale et de la longue rue qui mène, en marchant bien, au jardin qui ceint joliment le Musée National Hongrois, le dernier appartement de Liszt à Budapest. Au premier étage de la vieille Académie de Musique où le compositeur virtuose a vécu de 1881 à 1886, on visite l’appartement mis à la disposition du Maître en remerciement des cours qu’il donnait gratuitement. L’atmosphère de ces quatre pièces qui rassemblent pianos, livres, partitions, tableaux et objets personnels est surannée mais bouleversante.
Portrait de Franz Liszt en 1838, par Henri Lehmann - Musée Carnavalet
Si on affectionne - comme moi - ses Rhapsodies hongroises, on ne peut s’empêcher d’évoquer la fameuse n°9 Carnaval à Pest, en mi bémol majeur, composée en 1847 - pour moi la plus évocatrice et méritant bien l'expression de "feu d'artifice pianistique". Liszt a, d’après ses notes, exploité cinq thèmes dans cette pièce rythmée, contrastée et éclatante avec des ornementations tziganes et liés par un talent fantastique. Il a associé - comme le veut l'étymologie de rhapsodie - une mélodie italienne, une csárdás, un air folklorique et deux chansons populaires hongroises.
Ancien siège de l'Académie de Musique de Pest, dont le 1er étage fut habité par Franz Liszt pendant 4 ans.
Ecoutez-la en cliquant ici interprétée par Simon Bürki, lauréat du 5è Concours international Franz Liszt des jeunes pianistes, bel adolescent littéralement habité par la richesse et la complexité de l'oeuvre.
Bel immeuble d'angle jouxtant l'Opéra.
ph. de l'auteur
Revenons sur l’avenue où un oeil exercé peut apprécier ce bel immeuble aristocratique près de l’Opéra avec des trouvailles architecturales, comme cette loggia en angle, occupé par une marque française de luxe. En face, un hôtel particulier qui dut être somptueux est en cours de réhabilitation en hôtel 5 étoiles. Budapest s'adapte vite au marché touristique de haut niveau.
A partir d'ici, la voie s’élargit et comporte deux contre-allées piétonnes ombragées. Son 3è tiers qui part du rond-point Kodály (baptisé en hommage au compositeur et pédagogue Zoltan Kodaly) où se dressent quatre palais identiques témoignant des splendeurs enfuies de la Hongrie, conduit jusqu’à la Place des Héros.
Cette portion résidentielle, huppée, sans le moindre commerce, avec hôtels particuliers et villas cossues qui deviendront pour la plupart des ambassades et diverses institutions, va s'achever par une place imposante de majesté et de pompe : la Place des Héros, (Hősök tere) couronnée par le Monument du Millénaire, le Musée des Beaux-Arts, le Műcsarnok, Musée d'Art Contemporain qui lui fait face.
Importante villa de style prusso-flamand
Résidence d'été de style éclectique ayant appartenu à l'actrice Mme Bulyovszky- 1902
D’une certaine façon, le 1er et le 2è tiers de l’avenue évoquent le boulevard de la Madeleine, et celui des Capucines à Paris, ou même Oxford Street à Londres ; le dernier tiers rappelle la très patricienne avenue Louise à Bruxelles. Classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, elle rassemble la majorité des éléments inhérents au statut de capitale de la fin du XIXè siècle.
Hôtel particulier de style hellénistique Trianon
Conçu par l'architecte Albert Schickedanz , le Monument du Millénaire avec l'imposante colonne surmontée de la statue de l'archange Gabriel - ph. Wikipedia
Premier terminus du Bus Rouge - Descendons ici, il y a beaucoup à voir : les marques du Millénaire
Cet élégant monument, regorgeant d'injonctions historiques, construit entre 1896 à 1922, s'inscrit dans la série des travaux célébrant les mille ans d'installation des sept tribus Magyars (c’est la tribu dirigeante qui se nommait Megyer) qui s'établirent en Pannonia - encore romaine - immense région des Carpates en 896. C’était un groupe ethno-linguistique originaire d'Asie centrale dont les migrations successives ont finalement abouti à la création du "pays magyar" (Magyarország), aujourd’hui la Hongrie. Ce sont donc les fondateurs de ce pays à la langue singulière, le hongrois issu du finno-ougrien.
Hommage à l’identité nationale de la Hongrie, le monument est constitué d'une imposante colonne de 36 m. surmontée d'une statue de l'archange Gabriel, messager de Dieu, élevant la couronne de Saint-Étienne, premier roi de Hongrie, et la double croix du christianisme. Elle constitue également le monument aux morts de la guerre de Libération de 1848-1849. A son pied, trône la statue équestre du chef magyar Árpád - prénom usité dans le pays - entouré des six autres chefs de tribu. Il est ceint de deux séries de colonnes en demi-cercle dont les piliers surmontent les statues de 14 chefs ou rois hongrois remarquables. Sur les portiques figurent d’une part les symboles du Travail, de la Santé et de la Guerre ; d’autre part, ceux de la Connaissance, de la Gloire et de la Paix. Exit les Habsbourg !
Musée des Beaux-Arts, d'inspiration gréco-romaine
ph de l'auteur
Nombreuses sont les capitales européennes qui exploitèrent le style gréco-romain pendant tout le XIXè siècle, pour leurs diverses institutions : monuments gouvernementaux, églises, musées, académies, qu’il s’agisse de Berlin, Bruxelles, Helsinki, Paris ou Londres. Budapest ne dérogea pas à la règle pour l’édification de ses trois grands musées : celui des Beaux-Arts, celui du Műcsarnok face à lui, érigés pour le Millénaire. Le Musée National de Hongrie dans le centre de Budapest, quant à lui, fut conçu dès 1808, grâce au riche comte Ferenc Széchenyi, père d'Istvan, qui a donné à la nation ses collections de monnaies et d'artefacts archéologiques, mais il ne fut inauguré qu'en 1846. Plus de 50 ans après, on reprenait la même architecture.
Ce type de structure qui imite l’antique et en fait revivre l’esprit, avait pour but de mettre en valeur la notion d’état : pouvoir non contestable, vertus civiques et morales, rationalité et rigueur dans un contexte - plus ou moins - démocratique. Pour les musées, il désignait en outre un regard rétrospectif plus que millénaire sur la culture académique européenne. La référence est donc systématiquement le temple jupitérien, aux lignes géométriques représentatives de l'équilibre inébranlable et de la juste mesure, auquel on accède par une volée majestueuse de marches. Autrement dit, on est contraint de s’élever !
Personnellement, je recommande vivement le Musée des Beaux-Arts - centré sur les œuvres européennes depuis la Renaissance - pour ses très nombreux dessins, ses toiles de Rembrandt, Dürer, Raphaël, Tiepolo ; son imposante collection de peintures espagnoles, ses oeuvres de Gauguin, Manet, Cézanne et autres impressionnistes et cubistes ainsi que ses salles de sculptures et d'objets antiques, y compris égyptiens, à la muséographie exemplaire. Ses expositions temporaires sont de grande qualité comme celle de Matisse récemment.
Musée National de Hongrie, inauguré en 1846
Le Métro du Millénaire - Le “tramway souterrain” du Millénaire est la première ligne de métro de Budapest et la deuxième au monde jamais construite après celle de Londres. Ses travaux, qui gênèrent grandement la circulation sur l’avenue Andrassy, furent éprouvants pour les grands bourgeois qui y demeuraient. Ceux-ci furent “soulagés” quand tout fut terminé pour les festivités de 1896, car, enfin, la population de travailleurs et de petites gens disparut sous terre ! La ligne fut inaugurée le 3 mai 1896 ; ainsi la Hongrie devint-elle le premier pays sur le continent à posséder son métro électrique.
Délassons-nous aux Bains Széchenyi
Vous désirez vous reposer et déjeuner sous les arbres ou près de l’eau ? Passez le pont sur le lac à l’arrière du Monument et suivez les allées qui s’offrent à vous dans le très agréable Varosliget, le Bois de la Ville. C’était jadis une réserve de chasse pour la noblesse, qui fut progressivement aménagée en parc public. Le château de conte de fées, Vajdahunyad, a été bâti initialement en bois pour l’exposition du Millénaire. Lorsque les festivités furent closes, il était si populaire qu’il fut reconstruit en pierre et devint l'attraction familiale dominicale !
L'une des piscines extérieures des Bains Széchenyi - ph visithungary.com
Façades sur jardins des Bains Szécheny, avec coupoles, colonnes, immenses fenêtres et statues innombrables
L’une de ces allées vous mène au complexe de bains le plus célèbre de Budapest, les Bains Széchenyi qui méritent tous les superlatifs, tant ils sont grandioses. Ville d’eau dans la ville, ces bains sont parmi les plus beaux d’Europe ; leur construction a commencé - avec beaucoup de retard - en 1909 selon les plans de Győző Czigler - professeur à l’Université Technique - qui les a conçus comme un palais de détente et de soins, dans les styles néo-baroque, voire rococo outrancier, magnifiés par un crépi couleur or. L'exubérance traduite dans la pierre.
Ils offrent 15 piscines, 3 grandes extérieures et 12 petites intérieures, dont les températures varient entre 16° et 38° ; elles sont complétées par des saunas et des salles de massages et de fitness. L'inauguration eut lieu en 1913, quelques mois avant la déclaration de guerre … Comme on peut le voir, le style de cet ensemble est totalement déconnecté de celui des bâtiments du Millénaire qui évoquent autorité, pérennité et élévation et pourtant leur conception est quasi contemporaine. Et également à l’opposé des constructions Art Nouveau qui vont jaillir à Budapest vers la fin des années 1890, plus encore après l’Exposition Universelle de Paris en 1900, faisant florès en Europe occidentale puis centrale où on lui donna le nom de Sécession Hongroise.
L’essor de la Sécession hongroise est lié aux œuvres du très créatif architecte Ödön Lechner, réalisateur du Musée Hongrois des Arts Décoratifs. Sa volonté était de créer un style spécifique mêlant des motifs de l'Art Nouveau à des éléments orientalisants. Le Parisi Udvar - c’est-à-dire Passage Parisien - en est un exemple remarquable. Il a été conçu à l'origine sur le modèle des nombreuses galeries marchandes parisiennes. Le rez-de-chaussée d’une grosse maison construite en 1817 avait été aménagé comme une galerie marchande traversante. Cette galerie survécut à la reconstruction du bâtiment en 1912 et son nom désigna l'ensemble.
Le Parisi Udvar inauguré en 1912, typiquement Sécession hongroise, transformé en hôtel de luxe
en 2019 et sa nef en café - ph Claude Mandraut.
Les entrées sur rue ont été fermées par des portes vitrées et l'ancienne nef a été remaniée en un superbe café - trop austère à mon goût - les étages supérieurs ayant été transformés en hôtel de luxe. L’architecture intérieure abondamment travaillée incorpore des éléments de design traditionnel hongrois à des éléments mauresques et gothiques, évoquant le passé de la Hongrie. La façade d’origine, les escaliers, les verrières et les lustres ont été conservés lors de l'impeccable réhabilitation de 2019. L'ensemble est vertigineux.
Le Bus Rouge revient vers le centre-ville
et aborde le boulevard Elisabeth, (Erzsébet körút ), baptisé en hommage à la fameuse Sissi.
Impressionnante façade sud du New York Palace avec tour de l'horloge, tourelles, immenses colonnes et statues.
Il prit naissance dans les années 1880, au fur et à mesure des constructions de maisons particulières et d’immeubles d’appartements, au style éclectique. Puis, vers 1890, il devint l'une des scènes importantes de la vie culturelle et commerciale de la capitale, et vit l’ouverture de cafés littéraires, de théâtres et des premiers cinémas. Entre 1950 et 1990, pendant l’ère soviétique, une portion du boulevard s’appela officiellement Lenin körút, soit boulevard Lénine ! Actuellement, c'est un boulevard animé, très fréquenté, pour ses boutiques, ses cafés, ses lieux de distraction et ses grands hôtels, notamment le New York Palace.
Le Bus s’arrête devant ce bâtiment qui vaut la peine qu’on s’y attarde. Construit entre 1891 et 1895 comme un palais de style éclectique présentant un mélange de motifs néo-baroques, néo-Renaissance et de Sécession, il est le siège de la New York Life Insurance Company, compagnie d'assurance-vie américaine, dont on aperçoit l’aigle emblématique en surplomb. Son premier étage est occupé par les bureaux de la compagnie; les étages suivants étant constitués d’appartements loués à de riches propriétaires fonciers.
La décoration des façades de marbre, exhalant le glamour de la Belle Epoque, est très sophistiquée, avec sculptures, colonnes, tour d'horloge centrale surmontant l’immense entrée, et porte-lampes en fonte au profil d’Asmodée symbolisant la vocation intellectuelle du New-York Café, situé au rez-de-chaussée.
Sur la façade, les porte-lampe Asmodée, Ce nom signifie « Souffle ardent de Dieu »
Celui-ci, dont la décoration, travaillée comme un pastiche néo-baroque opulent absolu, somptueusement prétentieux, présente des colonnes torsadées, ferronneries, appliques, lanternes, rideaux et sièges de velours, miroirs, plafonds peints d'allégories encadrés de moulures dorées comme de l’orfèvrerie - à faire blêmir Louis XIV dans sa Galerie des Glaces ! - ouvre ses portes dès octobre 1894 et devient vite l'un des hauts lieux de la littérature où de nombreux écrivains et artistes prennent leurs habitudes.******
Endommagé par les destructions de la Seconde Guerre mondiale et malmené par le régime soviétique - un char en avait enfoncé une partie - le New York Palace subit de nombreux changements de destinations jusqu’à son achat en 2001 par un groupe hôtelier italien qui restaura l’ensemble pour le transformer en un hôtel de grand luxe. L'ensemble fut sauvé, mais l'ambiance du café n'est plus représentative que du tourisme de masse...
Vue d'une partie du New York Café depuis l'entrée
Aux amoureux de l’Art Nouveau, je recommande d’entreprendre une balade architecturale dans la vieille Budapest à la découverte des façades spectaculaires de ce style maintes fois adopté. Il faut aller admirer l’ancienne Caisse d’Epargne de la Poste construite entre 1899 et 1902 selon les plans d'Ödön Lechner dont j’ai parlé plus haut, et Sándor Baumgarten, dans le plus pur style expansif Sécession hongroise aux influences orientales. Version de l’Art Nouveau spécifique à la Hongrie. Il abrite aujourd'hui le Trésor Public.
Si l’on compare les deux bâtiments, on est loin de la conception révolutionnaire par Otto Wagner de la célèbre Caisse d’Epargne de la Poste de Vienne datée de 1903 - seulement 4 ans d’écart... - devenue l’un des symboles architecturaux d'un style par lequel l’architecte revendique pour la première fois les principes du fonctionnalisme. Car pour O. Wagner, l’Art Nouveau n’était pas du tout ce que les Français nommèrent par dérision le style nouille ! O. Wagner était, en fait, précurseur de l'Art Déco.
Le bâtiment de la Caisse d'Epargne de la Poste inauguré en 1902 - ph. Wikipedia
A voir également, le Musée Hongrois des Arts Décoratifs construit entre 1893 et 1896 et abrité par un édifice de style Sécession qui s'apparente fort à un imposant palais. L’ensemble est repérable à sa toiture de tuiles colorées en céramique de la célèbre fabrique Zsolnay, vertes et jaunes vernissées. Le bâtiment, dessiné également par Ödön Lechner et Gyula Pártos, est l'un des plus beaux exemples de style Sécession hongroise et une des premières œuvres de Lechner. Il fut projeté dans le cadre des Festivités du Millénaire.
Le bâtiment du Musée Hongrois des Arts Décoratifs inauguré en 1896
Notre Bus se dirige maintenant vers Buda - Il parcourt l’avenue Rákóczi, artère très importante et encombrée. On lui a donné le nom du héros national François II Rákóczi, (1676 –1735) aristocrate hongrois qui régna sur la Transylvanie****** de 1704 à 1711 et s'opposa de façon héroïque à la mainmise des Habsbourg sur ce pays. Cette avenue fut reconstruite après 1884, à l’ouverture de la Gare Keleti (c’est-à-dire Gare de l’Est), une des gares les plus modernes d'Europe pour l’époque, devenue l'énorme terminal ferroviaire international actuel. Difficile de déterminer son style, car les architectes obéirent au style éclectique pompeux industriel adopté dans les autres pays européens et qui ne cessa d’évoluer au cours des XIXè et XXè siècles.
Un peu plus loin, l’avenue prend le nom de Kossuth Lajos du nom du grand homme de la Révolution de 1848. En passant, on remarque le célèbre Hôtel Astoria
Vue de nuit du Danubius Astoria et du boulevard Kossuth
Inauguré en mars 1914, construit en néo-empire et directoire français, sans sophistication - donc ni Art Nouveau, ni Art Déco - mais avec une impressionnante entrée, le bâtiment qui possédait un confort quasiment d’avant-garde, devint rapidement une attraction dans le centre de Budapest. Ses vastes salons et sa décoration faite de boiseries d'acajou, de colonnes de marbre vert, de lustres en cristal, de vitraux, de vases de Sèvres, de tapis et tableaux en faisaient un lieu très chic, the place to be. Il fut le point de rencontres politiques diverses : Première République de Hongrie en 1918, République des Conseils de Hongrie avec le communiste Béla Kun, la Gestapo pendant la Seconde Guerre Mondiale. Détérioré par les bombardements de 1945, il rouvrit très vite en 1946 pour être nationalisé… en 1948 par l’Etat hongrois. Puis siège provisoire de l'Armée Rouge pendant la révolution de 1956. Année qui scella le sort du pays pour une sombre période.
Enfin, plus tard, il devint un lieu privilégié pour les tournages de films. Incontournable, il est dans le centre névralgique de la capitale.
Juste avant le Pont Erzebet qui va traverser le Danube, un sympathique parc d’attractions propose restaurants, forains, Grande Roue, et une gracieuse fontaine de pierre blanche Danubius qui offre sa fraîcheur. Elle fut sculptée en 1883, dessinée par Miklos Ybl, le talentueux architecte de l’Opéra. Ses trois statues féminines symbolisent les grandes rivières qui traversent la Hongrie ; elles sont surmontées du fleuve Danube.
Du pont, le fleuve imposant m' évoque cette réflexion poétique de l’écrivaine française, Juliette Adam******* en 1884 "Le Danube est gris au milieu, verdâtre à ses bords ; sera-t-il bleu demain ? Il se moire sous la lumière, crépite comme la flamme, il miroite, il étincelle. Majestueux, solennel et lourd, le fleuve énorme ne coule pas, il marche.” On distingue le mondialement connu Pont des Chaînes, emblème de la ville (malheureusement sous bâches pour plusieurs années de restauration).
Vue aérienne du Pont des Chaînes
C’est le pont le plus ancien de Budapest, d’abord connu comme le Pont à chaînes (comme on dit pont à haubans) puis Pont Széchenyi, en hommage à son initiateur, le comte István Széchenyi. Jusqu’à sa construction, il n’y avait pas d’autre choix que de traverser le Danube en bac ou sur un ponton de bois et, durant les hivers glacés, en marchant sur la glace ; au printemps la débâcle pouvait se révéler mortelle.
La nécessité de relier par un pont les villes de Buda et de Pest devint de plus en plus impérieuse en ce début de XIXè siècle. Un événement de la vie privée de Széchényi devint subitement un argument clé ; car en décembre 1820, le comte devant se rendre à Vienne depuis la ville de Debrecen, au nord de Pest, après avoir appris le
décès de son père, fut contraint d'attendre plusieurs jours avant de passer le Danube pour prendre la route depuis Buda. Le temps était épouvantable. Dès lors l’énergique Széchenyi mit tout en oeuvre pour faire édifier un pont permanent entre les deux rives, et porter le projet à son terme. Il créa une association en 1832 se proposant de convaincre l'opinion publique en faveur du projet.
Le Parlement hongrois statua sur le bien-fondé de la construction et Széchenyi sollicita trois grands banquiers pour son financement. Puis, le comte et son ami Andrássy se rendirent en Angleterre pour consulter les ingénieurs en travaux publics les plus en pointe. Prenant en compte l’environnement et les conditions climatiques, ils leur suggérèrent la construction d'un pont suspendu avec chaînes. Széchenyi visita celui de Menaï au Pays de Galles, datant de 1826. il se décida pour ce type de pont et il en confia les plans à William Tierney Clark, ingénieur civil anglais.
On peut affirmer que ce pont est pour moitié britannique car le chantier fut entrepris en 1839 et terminé en 1849 grâce à l’Écossais Adam Clark, ingénieur civil qui supervisa les travaux. En outre, les chaînes de fer forgé et les pièces de fonte furent fabriquées en Angleterre et transportées par voie maritime puis par voie fluviale.
Portrait de Istvan Széchényi par le peintre Miklós Barabás - 1848
Pendant longtemps le Pont à chaînes Széchenyi fut le plus long pont suspendu par des chaînes. ll fut inauguré le 20 novembre 1849. Les usagers, vite nombreux, durent s'acquitter d’un péage. En 1852, deux lions de pierre furent installés de chaque côté des culées, les armoiries des Széchenyi étant sculptées sur le socle de l’un d’eux.
La ville de Buda, le Mont Gellért et les Bains Gellért
Une des piscines intérieures des Bains Gellért
Notre Bus parvient au pied du Mont Gellért dont les sources minérales chaudes - entre 27° et 40°- alimentent les célèbres et très spectaculaires Bains Gellért, le deuxième grand complexe balnéaire de la ville. Ouverts en 1918, ils ont été inspirés dans leurs structures par les bains de Caracalla à Rome et décorés selon les lois de l'Art Sécession avec inspirations orientales. L’ensemble, extraordinairement désuet et tarabiscoté est parfois oppressant : hall d’entrée avec immense verrière, piscines décorées de mosaïques de la célèbre manufacture Zsolnay, dômes, colonnes sculptées rococo, têtes de lions, plafonds à fresques, fenêtres à vitraux colorés. A l’intérieur on profite de nombreux bassins et saunas ; à l’extérieur de piscines à vagues ou à remous.
Ils sont adossés au prestigieux Hôtel Gellért qui surplombe le Danube, bâtiment dans le plus pur style Sécession.
La Colline Royale - Le Château - Longeant le Danube à droite avec les collines de Buda à gauche, le Bus nous laisse au pied d’une série de bâtiments et de jardins élégants néo-baroques, connue sous le nom de Várkert Bazár et conçue au XIXè siècle pour agrémenter les pentes qui dévalent du Palais Royal. Celui-ci fut édifié sur un éperon rocheux par le roi Béla IV au XIIe siècle, pour prévenir les nouvelles invasions mongoles ; le siège royal fut donc transféré des rives planes de Pest sur les hauteurs de Buda plus facilement défendables. Des murailles défensives furent construites ; elles remplirent leur mission en 1282, quand les Mongols revinrent.
Pour l’atteindre, on a le choix entre emprunter l’antique funiculaire construit en 1870 pour transporter les nombreux fonctionnaires qui travaillaient au château ou gravir les vieilles rues pavées et sinueuses, à pied ou à l’aide du petit train. La découverte de l’ancienne Buda est enchanteresse avec ses maisons basses aux façades colorées, ses ruelles étroites et ses placettes agrémentées de terrasses.
Une ruelle pavée descendant la colline
De nombreux bâtiments gothico-ottomans furent revus dans le style baroque - c'est-à-dire une exubérance chrétienne - par les Habsbourg, une fois Buda reprise aux Ottomans en septembre 1686, après 143 années d'occupation.
Le petit train nous dépose devant l'Eglise Matthias - mosquée sous l'ère ottomane, et maintes fois reconstruite, son style prédominant actuel est le néogothique. - où furent couronnés François-Joseph et Elisabeth, - c'est un peu l'âme des Hongrois, car elle doit son appellation populaire à Matthias Corvin (1458-1490), considéré comme l'un des plus importants rois de Hongrie, bien avant la mainmise des Habsbourg. Elle reçoit souvent des concerts d’orgue et de musique classique.
On passe ce qu'il reste, en 2023, du grand portail d'entrée du domaine royal puis on se dirige vers l'immense château - 300 m de longueur - en évitant les bétonnières qui manoeuvrent sans cesse dans d'immenses ornières, les travaux de reconstruction d'après guerre étant loin d'être achevés.
Delphine d'Alleur - 2023
Fin de la première partie
Chevet de l'Eglise Notre-Dame-de-l'Assomption dite Eglise Matthias
* La compagnie d’assurances est très ancienne puisque créée par Thomas Gresham, riche marchand anglais et financier, fondateur de la Bourse de Londres en 1565, sous le règne d’Elizabeth Première
**Le néo-Renaissance commença à apparaître vers 1840. C’est un style aux contours flous, mais plutôt harmonieux, inspiré de l'architecture de la Renaissance italienne ou française et privilégié en Europe pour tous les bâtiments publics, bureaucratiques et même religieux. Ce fut un des styles préférés en Hongrie dans les années 1870-1880. Il fut très apprécié outre-atlantique.
*** Lajos Kossuth (1802-1894) d’une famille protestante (mère luthérienne) de la petite noblesse hongroise, d’un père avocat et d’un grand-père juge. Devient avocat lui-même et participe à la période de réaffirmation de l'identité nationale hongroise en tant que journaliste et chef politique.
**** Ferenc Deàk (1803-1876) issu de la noblesse hongroise, En 1833, il fait son entrée en politique et devient l'un des chefs des nationalistes hongrois. Lorsqu'éclate la Révolution de 1848, Deák se range parmi les modérés. Il entre au gouvernement de Batthyány, mais préfère démissionner quand les nationalistes extrémistes de Lajos Kossuth prennent le pouvoir. Inquiété en 1849 par le gouvernement impérial, il se fait discret avant de revenir à la Diète en 1861. C’est lui qui eut l’idée de la proposition du compromis austro-hongrois auprès de l’empereur François-Joseph. On le surnomma ” le Sage de la nation “
***** magyarisation : assimilation culturelle et linguistique des peuples non-hongrois du royaume de Hongrie au sein de l'Autriche-Hongrie : essentiellement des Slaves, des Valaques, des Allemands, des Roms et des Juifs.
****** Il serait intéressant de connaître quelles oeuvres littéraires y ont été élaborées et si on faisait payer le café aux gratte-papier sans le sou !
******* Juliette Adam, (1836- 1936) est une écrivaine, polémiste, féministe et républicaine française. Elle a tenu un salon où se croisaient hommes politiques, artistes et écrivains, foyer d’opposition à Napoléon III