La Folle Europe à
Baden-Baden
"Avec quelle avidité je regarde la table de jeu où sont éparpillés des louis d'or, des frédérics et des thalers, les pièces d'or empilées qui s'écroulent sous le râteau du croupier en tas chatoyants comme la braise, ou les longs rouleaux de pièces d'argent qui entourent le plateau. Avant même d'atteindre la salle de jeu, dès que j'entends tinter les pièces, je suis près de défaillir. "
Dostoïevski
Dans mon article sur Amsterdam - rubrique Profitez - j'évoque la petite musique singulière et chaleureuse qui émane de la vénérable cité. Celle de Baden-Baden n'a rien de comparable. Elle se compose de milliers d'éléments divers qui constituent cependant une structure cohérente toute en élégance : douze sources thermales jaillissant d'une profondeur de 2000 m et plus, ruines romaines, constructions architecturales de toutes époques et influences, parcs luxuriants tirés au cordeau, arbres centenaires, lieux d'amusements, de jeux, de musique, de culture, de sport, de bien-être et de shopping, musées richement dotés, restaurants raffinés et, bien sûr, palaces
à la longue tradition hôtelière, l'ensemble dans un environnement de forêts, le massif de la Forêt Noire, et d'excellents vignobles, dans le Bade-Würtemberg. Plus de mille monuments, statues, fontaines et jardins classés créent une symphonie atypique, froide mais prodigieuse, qui vous saisit dès votre arrivée. Au XIXè siècle, elle fut l'un des phares de la vie mondaine de la Grande Europe, un microcosme d’une vitalité et d'un glamour peu communs, attirant un cosmopolitisme fortuné, plus ou moins royal et aristocratique, totalement jouisseur et insouciant, se faisant construire des villas d’apparat. A des époques où les peuples avaient plus besoin de gouvernants clairvoyants et responsables que de casinos. Les années 1870 et 1914 le confirmeront pour certains, et 1917 pour d'autres...
Baden* - "La Capitale européenne de l’Eté" - à l’histoire vieille de 2000 ans, bâtit sa réputation thermale sous l’occupation romaine, le Moyen-Age et la Renaissance, mais c’est au XVIIIè siècle qu’elle commença à déployer une gamme d'amusements et de jeux de hasard, grâce à l’autorisation du margrave Ludwig-Georg de Bade qui régna pendant 54 ans et de son frère August-Georg qui lui succéda et fit bâtir en 1766 l’ancêtre du casino : la Maison de Promenade où les estivants pratiquaient l’Ecarté et le Whist. Ceux-ci résidaient dans de simples auberges de bains. La ville s’agrandit à l’époque napoléonienne et devint un centre politique et culturel prospère grâce au nouveau margrave Karl-Friedrich - promu grand-duc par Napoléon qu'il admirait - et au fait qu’il l’ait choisie comme résidence d’été. Les jeux commencèrent à avoir - plus que les cures et malgré les... 800 000 litres quotidiens d’eau chaude ou froide issus des sources - un rôle d’aimant de visiteurs pas forcément curistes - et par voie de conséquence, l'origine de financements qui n’ira qu’en s’accroissant.
En effet, les administrations locales règlementèrent les jeux de hasard en s'intéressant aux volumes des mises et à leurs revenus. Le gestionnaire de la Maison de Promenade, un Français, dut donc s'acquitter d'une taxe, de plus en plus conséquente, laquelle servit intelligemment à financer des routes, des jardins, la canalisation et le pontage de la petite rivière l'Oos, celle que nous pouvons encore admirer aujourd'hui, longée par la superbe Lichtentaler Allee,** sur environ 2km5 et où l'on allait se promener en grand équipage. A la Maison de Promenade on adjoignit en 1824 un nouveau bâtiment, la Maison de Conversation ; l'ensemble, au style néoclassique élégant, agrandi et entièrement redécoré, sera nommé plus tard Kurhaus. L'élégance étant le premier critère de distinction de Baden.
Ce sont deux Français qui obtinrent ensuite la licence d' exploitation des lieux proposant de nouveaux jeux comme la Roulette et le Pharaon. Après eux, c'est encore un Français, banquier, qui reprit la licence tout en étant chargé par le nouveau grand-duc Karl-Ludwig, fils du précédent, de proposer un programme élaboré d'événements mondains suffisamment attractifs pour retenir pendant toute la saison les "invités" (le mot de clients était proscrit).
“Le divertissement est tout ce que l’on fait pour oublier l’essentiel”*** Dès la première moitié du XIXè siècle, l'attrait de Baden va reposer sur la conjonction des jeux de hasard et des loisirs de haut niveau avec concerts, bals costumés, fêtes, lectures savantes et réceptions, d'autant qu'il faut contrer la concurrence avec les autres villes thermales d’Allemagne, de Bohême, d'Autriche, et de France. Exemple : janvier 1829, Niccolo Paganini commence une tournée de deux ans en Allemagne et se produit à Baden où il est très applaudi. La ville devient un passage obligé pour les artistes.
Les grands-ducs de Bade se succèdent et les exploitants ou “locataires” de la Maison de Conversation, également, jusqu’à l'opportuniste Jacques Bénazet, financier français venu tenter sa chance après la fermeture en 1838 des salles de jeux parisiennes par Louis-Philippe, Jacques et son fils Edouard puis le neveu de ce dernier vont développer jusqu’en 1870, date de la guerre franco-prussienne, une vie mondaine et artistique de tout premier plan, grâce à une communication habile et l’introduction de l’influence parisienne sur les goûts et la créativité. Bénéficiant d'un budget pharamineux, ils deviennent les Maîtres de cérémonie de la ville en même temps qu’imprésarios et influenceurs et font venir de Paris des artistes, des musiciens, des chefs d'orchestre, des écrivains, des artisans-créateurs confirmés et des commerçants de luxe, afin d’élever l’exigence culturelle, artistique, vestimentaire et comportementale. On assiste à l’ère Bénazet, ”La langue française règne souverainement et préside à l’entente cordiale de toutes les intelligences” constate-t-on. La plupart des journaux paraissent en Français, au point que beaucoup de visiteurs parlent de la ville comme d’un petit Paris, ainsi la jeune écrivaine russe Marie Bashkirtseff : "...au mois de juin, en pleine saison, en plein luxe, en plein Paris !" Car en juin s'ouvre la saison théâtrale et les comédiens parisiens triomphent sur les différentes scènes. En juillet et août ce sont les courses et en automne les chasses.
La Lichtentaler Allee** est prolongée et embellie d’un parc botanique et d’une roseraie et des constructions hôtelières prestigieuses surgissent en retrait, leurs immenses pelouses courant jusqu’à la rivière. Cette scénographie, déjà bien pensée, va continuer sur sa lancée, la Capitale Européenne de l'Eté est née, la Capitale d’Hiver étant Paris. Plusieurs dizaines de nationalités vont se mêler des mois de mai à octobre. Certaines ayant leurs mois favoris ou, mieux, ayant déjà effectué leur cure à Bad Ems ou Wiesbaden, les qualités curatives de leurs eaux étant reconnues comme supérieures. On construit l’impressionnante Trinkhalle (1839), autrement dit la Buvette, bâtiment superbe tout en longueur doté de colonnes corinthiennes et abritant 14 fresques. Mais progressivement Baden ne reposera plus sur la réputation de ses eaux, au point qu'un commentateur français écrit déjà en 1860 avec humour :
" Les vrais malades se cachent pour ne pas attrister (!) par leur présence ces lieux enchanteurs. Celui qui viendrait étaler ses douleurs devant le Palais de Conversation serait évincé au plus vite"! Ce qui n’empêche pas la construction du monumental et écrasant palais des bains, le Friedrichsbad, entre 1869 et 1877 à côté des anciens thermes romains, considéré comme le plus moderne d’Europe, à la fin du XIXè siècle - peut-être aussi le plus extravagant. Il réunit les styles romain, Renaissance italienne, irlandais et oriental avec des volumes impressionnants, des fresques, des mosaïques, des marbres et une coupole grandiose à donner le tournis ; il offre différents bains chauds ou froids avec salles de repos, d'inhalations et de massages. Un confort parfait.
"Un roi sans divertissement est un homme plein de misères.” ****
Le tourbillon des plaisirs va s’amplifier. grâce à Edouard Bénazet surnommé “le roi de Bade” - qui succède à son père en 1848. Le début des années 1850 va voir arriver le compositeur Hector Berlioz auquel il est demandé de diriger un festival annuel de musique. “Faites tout en style royal, je vous laisse carte blanche” lui impose Edouard, programmation comprise ; Berlioz devient son propre maître.
Il en profite pour dévoiler ses nouvelles créations et écrit à un ami : “A Baden-Baden vous gagnez beaucoup d'argent, vous faites de la bonne musique, vous trouvez une foule de gens intelligents et cultivés, et ils parlent français !” Charles Gounod fait exécuter son opéra-comique La Colombe en août 1860 sur la scène du théâtre de la Maison de Conversation et reçoit une véritable ovation ; la partition est dédiée à Edouard. Une fois le Grand Théâtre terminé en 1862, dans le style de l'Opéra-Comique de Paris, Berlioz l’ inaugure en produisant son opéra-comique Béatrice et Bénédict qui lui vaut l’un des rares triomphes de sa carrière. Ce festival deviendra une échéance régulière dans l’agenda de Berlioz des années 1860 et acquerra une renommée dans toute l’Europe, encore aujourd'hui.
D’autant plus qu’il invite des instrumentistes et des compositeurs déjà célèbres. Jacques Offenbach se rendra souvent à Baden, accompagné de sa muse, la fameuse cantatrice Hortense Schneider ; il y crée la Princesse de Trébizonde, pendant l’été 1869. Les spectateurs adorent la virtuosité vocale et acclament des chanteuses étourdissantes telles que la Viardot, la Patti ou l’Alboni. Certains artistes comme le couple Viardot acquièrent une villa après s’être exilés de Paris en 1863. Richard Wagner, venu pendant son exil, en 1860, rencontrer Augusta, reine de Prusse, pour faire lever les sanctions à son encontre, est un de leurs amis. Pauline et Wagner interprètent en duo des rôles nouvellement créés, Franz Liszt les accompagnant au piano.
Bénazet fils possède un sens aigu des affaires conjugué à une profusion d'idées. Figure cultivée, il a de nombreuses relations qui vont répandre le renom de la station dans tous les pays d’Europe. Il va ainsi faire de Baden un lieu de l'art éphémère : des fêtes somptueuses, d’autant qu’il est devenu fort riche et donne l'exemple - mais on le dit généreux - vivant entre ses villas, ses maîtresses, ses chevaux et ses chiens de chasse ! Il va encourager la construction de grands hôtels comme le Brenners en 1872, du nom d'Anton Brenner qui avait acheté la villa Stéphanie (ancienne propriété de Stéphanie de Beauharnais mariée à un margrave de Bade). Cette villa deviendra par la suite une annexe de grand luxe du palace Brenners Park-Hotel & Spa devenu légendaire. Déjeuner au Brenners est un enchantement à s'offrir....
Un autre palace, le Am Sophien Park, lové dans un bâtiment historique, a une histoire plus longue. On y ouvrit la première guesthouse en 1733 … et on l’agrandit et le réaménagea sans cesse. Il possède toujours son propre parc en pleine ville. L’année de construction de l’Atlantic Parkhotel quant à lui est 1845, ses jardins et terrasses donnent sur la rivière. Le Dorint Hotel est l’ancienne Maison Messmer fondée en 1834 par Johann Messmer, d'illustres hôtes s’y sont succédé : rois, tsarines, empereurs et le chancelier Bismarck. En ce qui concerne l’actuel Radisson Blu Badischer, son charme découle de son passé d’ancien monastère des Capucins, qui après de nombreuses péripéties, est vendu en 1807 aux enchères à l'éditeur (qui publia Goethe et Schiller) et industriel Johann Cotta. Ce dernier transforme l’ensemble en un hôtel de prestige comportant sa propre source curative ; le hall monumental occupe l’ancien cloître. Après 1830 le bâtiment connaîtra encore des avatars mais finira par retrouver un statut de palace dans les années 1950 - 80
Le Brenners Park Hotel and Spa auquel est accolée la villa Stéphanie
Prusse, fille du roi de Prusse Guillaume Ier et sœur du futur empereur Friedrich III. La fine fleur princière et aristocratique européenne va envahir Baden qui devient “the place to be” - pendant la saison - qu’il s’agisse de lords anglais qui importent trois sports-clé : les courses de pur-sang, largement encouragées par Edouard qui construit l’hippodrome d’Iffezheim, le tennis qui donnera naissance au Baden Lawn Tennis Club en 1881 au coeur du parc thermal et le golf dès 1895 - ou de nobles allemands, autrichiens, français, espagnols, moldaves et bien sûr … russes.
En novembre 1854 se constitue un “orchestre d'hiver” de simple divertissement auquel participent les plus brillants musiciens et chefs de leur génération. Au fil des ans, il est devenu l’une des principales et plus anciennes compagnies musicales d'Allemagne sous l’appellation d’Orchestre Philharmonique de Baden-Baden. En octobre 1872, Johann Strauss fils et le chef d’orchestre Hans von Bülow donnent un concert au Théâtre. J. Strauss reviendra plusieurs fois.
Baden “la capitale officieuse de la Russie”. Le lien entre Baden et la Russie avait trouvé auparavant son origine dans un mariage prestigieux, celui du futur tsar Alexandre 1er (1777- 1825), petit-fils de la grande Catherine, avec la princesse Louise-Augusta de Bade en 1793. La nouvelle tsarine, renommée Elisabeth-Alexeievna, eut l'occasion de revenir à Baden dès 1814, entraînant les membres de la famille impériale et sa nombreuse suite. A tel point que la ville devint un réel centre d’attraction pour les nobles russes et …les moins nobles et un milieu d’échanges culturels remarquable. Baden prit un air de "capitale officieuse de la Russie”. "Je suis ici, dans les endroits les plus beaux du monde"
lit-on dans sa correspondance. Au milieu du siècle, les Russes représentent la plus importante diaspora de Baden, l’endroit est très prisé de l'élite intellectuelle proche du pouvoir. Les célébrités sont attirées non seulement par les eaux thermales, la beauté des paysages et de l’architecture mais, surtout, par l’un des casinos les plus courus d’Europe les jeux de hasard étant prohibés dans l’empire russe.
C’est ainsi que l’on rencontre le romancier et dramaturge Nicolas Gogol ; le critique et poète Vassili Joukovski qui, jouissant d'une grande influence à la cour de Nicolas 1er, successeur d’Alexandre Ier mort jeune, devient précepteur du futur Alexandre II, décrivant Baden comme un coin de paradis ; le prince Piotr Viazemski, poète, traducteur et critique, qui fut l’ami de Pouchkine ; l’immense romancier et nouvelliste Léon Tolstoï qui, joueur impénitent à la roulette et passant des journées entières au casino, n’hésite pas à emprunter de l’argent au critique dramatique Mikhaïl Koublitsky mais repart quasi ruiné
de Baden ; l’écrivain Ivan Gontcharov, haut fonctionnaire sous le règne d'Alexandre II et traducteur, qui crée le fameux personnage d'Oblomov, devenu symbolique en Russie et qui donna le mot d’oblomovisme : mélange d'apathie, d'aversion pour l'activité se manifestant par la procrastination et le manque de décision. Selon Tolstoï et Dostoïevski, Oblomov est une œuvre capitale, servie par un talent éblouissant, c’est aussi un joueur compulsif ; le poète lyrique et librettiste Iakov Polonski dont certains textes furent mis en musique par Piotr Tchaïkovski et Anton Rubinstein, il fut un grand ami d’Ivan Tourgueniev ; l’éternel tourmenté, le romancier Fiodor Dostoïevski qui arrive à Baden en 1861 et "fait connaissance" avec la petite boule d'ivoire. Il se drogue au jeu et pleurniche auprès de sa femme Anna après la perte des 166 pièces d’or ... qu’il leur restait : “J’ai tout perdu, tout ! Tout ! Ô mon ange, ne sois pas triste, ne t’inquiète pas ! Sois certaine que maintenant il va enfin venir le temps où je serai digne de toi et ne te dépouillerai plus comme un infâme et ignoble voleur”. Il écrit à Tourgueniev pour lui demander de lui faire parvenir cent thalers pour une durée de trois semaines. Tourgueniev lui envoie cinquante thalers, avec une lettre amicale. Dostoïevski mettra dix ans à le rembourser ! Il contracte de fortes dettes, Anna vend quelques petits bijoux mais le couple doit fuir ses créanciers. Finalement il signe un contrat léonin avec son éditeur pour la publication - en urgence - d'un roman.
Ce sera Le Joueur, dicté sous la pression, en 27 jours à Anna. C'est une analyse implacable de l'addiction au jeu,***** à un moment où l'auteur en est lui-même devenu l'esclave. Il revient à Baden en juillet 1867, tente encore sa chance et "gagne" assez d'argent pour "quitter cette ville maudite" selon les mots d'Anna. Comme tout joueur compulsif, l'écrivain négligeait sa vie sociale et privée et surtout son amour-propre au profit exclusif d’un hypothétique gain, recréant sans cesse l'éternel recommencement qu’exige la folie du jeu, bien symbolisée par la boule blanche qui tournoie en un bruit entêtant spécifique.
Il est intéressant de remarquer que beaucoup d’hommes surexcités par le jeu perdent tout sens de l’honneur et de la virilité****** sous l’effet de cette passion destructrice, quémandant de façon puérile des sommes toujours croissantes auprès de gens qu’ils connaissent à peine et geignant auprès des leurs ! C'est d'ailleurs considéré comme un trouble narcissique de la personnalité.
Quant à Ivan Tourgueniev, l'immense romancier, nouvelliste, dramaturge et érudit russe, il vient habiter Baden dans le sillage du couple Viardot, de 1865 à 1870. Il y acquiert une villa. Très entouré et actif, il y reçoit de nombreux intellectuels et artistes. Je développe ce thème dans la rubrique Rencontrez sous le titre Tourgueniev et Compagnie à Baden.
L’opulence à la Russe - Entraînés par le nouveau tsar, Alexandre II, dit Le Réformateur, monté sur le trône en mars 1855, très grand réformiste, les nobles de haut rang - ceux de la noblesse héréditaire extrêmement riche de Saint-Pétersbourg - passent tout l’été à Baden. Comme les Galitzine, la deuxième plus grande et plus noble maison princière de Russie. Mais également les propriétaires terriens de la moyenne noblesse : diplomates ou fonctionnaires dans l’armée ou dans le service civil comme les Razoumovski ou les Gortchakov ; les propriétaires de grandes fabriques et d’exploitations de mines ; et enfin les nobles convertis dans les professions libérales et universitaires. Saint-Pétersbourg est le principal centre intellectuel, scientifique et politique du pays. En outre, au XIXè siècle, la ville devient le principal port commercial et militaire de la Russie, c’est une capitale florissante à tous points de vue. J’eus l’occasion de la visiter à l'époque soviétique, il n’y avait que de beaux restes et je ne parle pas des magasins vides de tout produit de 1è nécessité.
Par ailleurs, Alexandre II avait épousé la princesse allemande Marie de Hesse-Darmstadt, plus jeune enfant de la grande-duchesse Wilhelmine de Bade. Baden est par conséquent un lieu familial, donc incontournable. Dans leur sillage, arrivent deux autres familles importantes : celle du Prince Menchikov l'une des plus influentes de Russie, plusieurs de ses membres avaient été nommés à des fonctions prestigieuses au sein de l'empire, et celle du Prince
Gagarine, cette famille cousinant avec les plus anciennes maisons princières au service des monarques russes. Le prince Vladimir Menchikov est le plus riche d'entre eux. Il fait édifier une énorme villa qui a disparu, et, passionné de chevaux, conçoit un petit hippodrome dans son immense parc. Il est un des fondateurs en 1872 du dynamique et richissime International, Club, organisateur des concours hippiques, toujours en activité.
Malgré "l'enfer" des jeux et les brassages continuels de pièces d’or et d’argent, les Russes de Baden n’oublient pas Dieu ! Ils suivent leurs offices religieux dans des villas privées. Finalement, il est décidé en 1855 de réunir des fonds pour la construction d'un lieu de culte orthodoxe. C’est la princesse de Bade, née duchesse Maria Maximilianovna de Leuchtenberg, petite-fille du tsar Nicolas 1er, qui forme un comité pour lever des fonds et faire édifier l’église orthodoxe.
L’administration municipale de Baden fait don du terrain. Sa belle architecture est inspirée des églises de Russie septentrionale ; elle est consacrée en 1882 sous la dédicace d’Eglise de la Transfiguration : fête importante chez les orthodoxes car il s’agit à la fois du changement d’apparence de Jésus qui révèle à ses disciples Sa nature divine, du Jour des morts et du passage de l’été à l‘automne. La mosaïque au-dessus de l'entrée est l'œuvre du prince Grigor Gagarine qui, outre ses obligations militaires et diplomatiques, est aussi peintre et architecte ! La princesse Tatiana Gagarine et Maria Nicolaïevna en feront leur sépulture.
Avec cette église, la colonie russe se considère comme parfaitement chez elle et donne naissance à la génération des Allemands de souche russe qui écriront une nouvelle page de l’histoire badoise. Dans les années 1880 viendra séjourner le tsar Alexandre III, deuxième fils d’Alexandre Ier assassiné en mars 1881, et à la personnalité très différente de celle de son père. Il fera en sorte que la Russie, restée agricole, s'efforce de devenir rapidement une puissance industrielle. En outre, sa politique extérieure va se baser sur le renversement des alliances militaires en Europe, devenant ainsi un “ami” de la France. L'Alliance franco-russe de coopération de 1893 à Paris persistera jusqu'en 1917. Après sa mort en 1894, son successeur Nicolas II résidera aussi régulièrement à Baden jusqu’en 1917 ....
Quelques mots sur l’inénarrable Prince Mihaïl Sturdza. Les Sturdza formaient une dynastie de boyards moldaves ayant donné des princes à la Principauté indépendante de Moldavie. La Moldavie historique couvrait autrefois un vaste territoire qui fut partagé après la guerre par les Soviétiques, entre trois États : la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine. Mihaïl Sturdza, bien que possédant une immense fortune, était d’une cupidité indécrottable et vendait des milliers de titres de noblesse moyennant de fortes sommes. Il multiplia ainsi par 4,5 le nombre de boyards dans son pays! Après la perte de son trône pour cause de mouvement révolutionnaire (international) en 1848, il prit le chemin de l’exil et vécut avec faste à Paris et à Baden dont la villa abritait un coffre-fort plein d'or. C’est à Baden qu’il fit édifier une somptueuse chapelle funéraire à son fils mort subitement à 17 ans.
Le toit était en plaqué or et l’intérieur décoré de façon somptueuse avec les plus beaux matériaux qui soient. Avide, ambitieux et imbu de lui-même, il réussit à marier sa fille à un prince de l'auguste lignée russe des Gortchakov.

Portrait de Johannes Brahms par Karl von Jagemann,
dans les années 1860
Je ne peux quitter cette étonnante ville de Baden du XIXe siècle sans évoquer l'un de ses glorieux habitués : un immense compositeur romantique et l’un de mes favoris : Johannes Brahms (1833-1897) Outre son travail de composition et ses concerts, Brahms continue d’ entretenir des contacts étroits avec Clara Schumann, qui s'est installée dans le petit bourg de Lichtenthal en 1862, Au début, il lui rend visite régulièrement. Puis, en 1865, il loue chaque été, un appartement installé dans le grenier d’une jolie villa également à Lichtenthal, au bout de la Lichtentaler Allee. A deux pas de la vénérable abbaye.
Delphine d'Alleur - 2022
* Anciennement Baden, dans le duché de Bade. La ville ne prendra le nom de Baden-Baden qu’en 1931 pour la différencier des Baden suisse et autrichien
** Lichtenthal signifie vallée lumineuse, une abbaye de moniales y fut fondée en 1245 et devint cistercienne en 1248. Elle est toujours en activité et est dirigée par la 46e abbesse.
*** André Comte-Sponville - Emission TV La Grande Librairie - avril 2022
**** Blaise Pascal - Pensées ( publiées en 1670)
***** Sergueï Prokofiev s’en inspira pour composer entre novembre 1915 et janvier 1917 Le Joueur un opéra en quatre actes
****** Le chef d’entreprise et milliardaire bien connu dans les années 1980, le baron Edouard-Jean Empain possédait un tempérament de flambeur pathologique - “correspondant à un sentiment démesuré de sa propre importance dans lequel le patient exagère constamment ses talents et ses performances” - et “claquait” au poker sans aucun état d’âme des sommes stratosphériques. Pour lui, spécialement, on fabriqua des plaques de 1 million de francs (environ 152 500 euros). Quand, au milieu de la nuit, les casinos et les cercles privés fermaient, il rentrait avec ses amis dans son château de Bouffémont. Tout ce beau monde continuait à jouer dans le salon de jeu privé qu’avait fait aménager son propre père, lui aussi joueur invétéré.
Références
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fr.rbth.com/histoire/80259-ecrivains-russie-vacances-europe
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wikipedia Baden-Baden
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www.lefigaro.fr/voyages/2014/10/24-baden-baden-confetti-de-luxe-et-de-plaisir
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www.persee.fr/doc/Les relations franco-allemandes et les bains mondains d'Outre-Rhin par Nathalie Mangin - 1994
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fr.pokerstrategy.com/strategy/poker-psychology/addiction-au-jeu
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www.orangesmile.com/guide-touristique/baden-baden/index