Split, la Ville dont l'Ame est un Palais
Vue aérienne de la vieille ville de Split, face à l'Adriatique, dans la baie de Kaštela - ph. fr wikipedia.org
" Dieu Tout-Puissant et Créateur de toutes choses
Ton courroux, détourne-le, aie pitié de nous
Sur ton peuple fidèle jette un regard bénin
Qui, sous le joug des Turcs, souffre de mille morts "
Cette imploration est le début de la Prière contre les Turcs du grand poète, érudit et humaniste chrétien dalmate, Marko Marulić (1450–1524) né à Split. Père de la littérature et de la pensée croates, il connut de près la menace ottomane. Car de son vivant, les Ottomans conquirent Constantinople (en 1453), Jérusalem, la Syrie, l'Égypte, la Serbie, la Bosnie, l'Herzégovine, et la ville de Belgrade, cette dernière victoire ouvrant les portes de la Hongrie et de l’Autriche (premier siège de Vienne en 1529). Quelles menaces n’a pas connues cette région de l'ancienne Illyrie sur l’Adriatique ? Son histoire mouvementée est marquée par une alternance entre périodes d'indépendance et périodes d'intégration dans des états multinationaux tels les empires romain, byzantin, ottoman, vénitien, hongrois, français, austro-hongrois, puis la fédération de Yougoslavie ; ensuite les Italiens et les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Elle redevient yougoslave contrôlée par les forces communistes jusqu'à la mort de Tito et les douloureuses dissensions qui s'ensuivirent.
Par sa situation, la Croatie a subi toutes les déferlantes humaines : les Grecs, les Celtes, les Delmates et diverses tribus déboulant de l’est des Balkans : Huns et Ostrogoths ! Elle n’est vraiment indépendante et autonome que depuis... 1991 et intégrée à l’Union européenne en 2013. Malgré de tels bouleversements, une ville a pu garder sa singularité, quasi unique au monde, c’est Split, capitale de la Dalmatie, active et trépidante. Elle tient son nom d’une colonie grecque fondée au IVè siècle avant J.C. du nom d’Aspalathos, référence à une plante qui poussait là, d’où ses noms plus tard de Spaletum, Spalato, Speletti puis Split. Cette ville possède un charme prenant, car on pénètre dans un livre d’histoire vivante, un bariolage époustouflant de civilisations, un mélange de styles architecturaux fonctionnels et décoratifs, des bricolages de remplois désordonnés et parfois cocasses, comme cette tête de sphinx rouge décorant un mur et des modes de vie et de cohabitations que nous faisons nôtres instantanément tant sa séduction est puissante. Car c'est un foisonnement d'époques en dehors du temps. On peut en faire le tour à pied tranquillement pour s'en imprégner ou la traverser le nez au vent, en se distrayant de toutes les étrangetés offertes. Les ruelles regorgent de curiosités à découvrir. Split figure au Patrimoine Mondial de l'UNESCO depuis 1979. Ses vestiges englobent 220 bâtiments. C'est la représentation même du creuset humain. devenu Croatie.
Le Palais changé en Ville - La singularité de Split est de s’être établie à l’intérieur du palais que l’empereur romain Dioclétien (244-313 après J.C.), lui-même “delmate”, s’était fait construire sur sa côte natale pour y passer sa retraite. Affaibli par la maladie et après vingt ans de pouvoir, il démissionne le 1er mai 305, étant ainsi le seul empereur romain à abdiquer volontairement : deux faits rarissimes. Il était originaire de l’opulente ville romaine de Salone (aujourd’hui champ de ruines) siège du pouvoir, proche d'environ 10 km. La construction dura de 294 à 305, l’ensemble s’étendant sur environ 39000 m2. A sa mort le palais devint la résidence de loisirs des empereurs qui lui succédèrent jusqu'au terme de l'empire romain d'Occident en 476, comme chacun sait !
Peinture de 1912 des architectes et archéologues français Ernest Hébrard et Jacques Zeiller proposant la reconstitution du Palais de Dioclétien en 305 après J.C. Hébrard a dressé un état actuel complet en 1908 et un rapport écrit très détaillé en 1911. La grosse tour d'angle du sud-ouest a disparu au XVIè s. sapée par la mer.
photo fr.wikipedia.org
Est-ce un palais ? Il en a les aspects qui annoncent les palais impériaux byzantins, dont il ne reste rien. Est-ce une villa de bord de mer ? Un castrum dont les caractéristiques sont une enceinte fortifiée, un point d’eau, deux voies principales qui se coupent à angle droit devant le QG du commandant de la garnison, des baraquements pour les fantassins et les cavaliers, une zone de soins, des magasins de stockage ; l’enceinte étant flanquée de quatre tours de garde et de quatre portes renforcées ? En fait, avec des attributs empruntant à l'architecture militaire, urbaine et résidentielle, Split constitue la transition entre le castrum et le château fort "moderne", soit un complexe associant une résidence et ses dépendances, divers monuments et des remparts atteignant par endroits une épaisseur de 4 m et c'est ainsi qu'on peut voir en se promenant des appartements creusés dans ces murs avec des stores et des fenêtres où pend le linge ! Mais, à Split existent plusieurs innovations géniales et luxueuses : la façade sud du palais de Dioclétien était à sa construction léchée par la mer, sans porte défendue ni ornementation. Seule une poterne avec un passage sécurisé permettait de décharger les navires de commerce vers les salles - séparées par d'énormes piliers et éclairées par des soupiraux en hauteur - dites “souterraines” mais en réalité de plain-pied car les sols bâtis devaient respecter la légère déclivité du terrain. C'est là que se sont installés artisans et marchands de souvenirs guettant les touristes ! Cette façade était constituée d’un long portique à arcades de 6,5 m de haut, séparées par des colonnes engagées avec chapiteaux très travaillés et présentait trois grandes loggias qui donnaient sur les immenses appartements impériaux. On peut comparer ci-dessous le dessin du peintre et architecte français Clérisseau exécuté d'après les relevés et les fouilles considérables de l'architecte écossais Robert Adam en 1763, avec la partie visible de la façade aujourd’hui*** sur la Riva.
Vue du côté sud, face au port, à l'époque des recherches de Robert Adam ; la mer venait au bord de la muraille - dessin de Charles-Louis Clérisseau - ph.wikimedia commons
La même muraille sur la Riva, promenade qui la longe. construite lors du gouvernement par les Français, sous le commandement de Marmont. Hôtels,restaurants et cafés sont appuyés ou creusés dans le rempart © dreamstime.com
Une des salles des soubassements aux piliers carrés colossaux
© visitsplit.com/fr/
L'éminent archéologue Ernest Hébrard pense qu’à ce portique était superposé un attique agrémenté de jardins suspendus, où "Dioclétien pouvait en paix promener son impériale oisiveté," en observant la mer ! D'où l'aspect cyclopéen des piliers supportant l'ensemble. La peinture de 1912 ci-dessus montre clairement l'attique végétalisé.
Edification et Evolution - Dès la fin de l'empire, la citadelle, protégée lors de sa construction par 16 tours, se transforme tout naturellement en cité autonome. Au milieu des murs des portes doublement sécurisées qui ont reçu des Vénitiens à la fin du Moyen-âge les appellations d'Or, d'Argent, de Bronze et de Fer, flanquées chacune de 2 tours octogonales de renforcement à l'exception de celle de Bronze sur la mer..
Elle possède déjà les infrastructures et les équipements de base et est occupée par les familles qui y travaillent depuis des générations. Le “complexe” de Split est très novateur, et coûteux, malgré une main d’oeuvre fournie par des milliers d’esclaves, quelques ouvriers sous-payés et des chrétiens harcelés jusqu'à ce que mort s'ensuive**
Tête de sphinx en granit rouge) (ou d'un roi de la dynastie des Ptolémées) encastrée dans le mur d'une maison particulière.
ph. Ante Verzotti - © visitsplit magazine
Pour Doclétien, rien n'est assez étudié, ni assez beau : des marbres d’Italie et de Grèce, des centaines de colonnes de granite rouge, rose ou gris et aussi de porphyre volés à l'Egypte et douze sphinx dont le transport est attesté en janvier de l'an 300.*** Par conséquent, tout est conçu pour rendre le palais unique. et digne de quelqu'un qui se pense "divinité", au même titre que les pharaons. Motif de leur destruction quasi totale, car l’arrivée du christianisme va s’avérer une force destructrice inouïe envers tous les symboles païens de l’époque, dont font inévitablement partie les sphinx. Un seul sphinx a survécu entier. Vieux de 3 500 ans, long de 3 m, il est fait de basalte noir et représenterait la tête de Ramsès II. Un autre n'a plus de tête.
Il n’y avait pas seulement deux voies en croix qui partageaient l'ensemble. Il en existait une autre tout le long de la muraille sur les ¾, bordée de portiques destinés à de multiples utilisations et s’arrêtant juste devant les appartements impériaux. Ces appartements étaient immenses puisqu’ils faisaient exactement la surface des salles de soubassement qu'on admire aujourd'hui et qu'ils épousaient leurs contours au-dessus, d'où l'importance des piliers. Ils comprenaient des pièces destinées à la famille et à des proches de l'empereur. ainsi qu’une bibliothèque. En effet, "Dioclétien avait beau ne pas être un lettré, il n’ aurait pas prohibé ce qui avait toujours été un des plus beaux ornements des villas romaines.” En outre dans la partie sud-ouest se trouvaient un vaste espace à portique destiné aux exercices de plein air et les thermes privés de Dioclétien, aujourd’hui à l’intérieur de l’hôtel Slavija qui possède un spa thermal.
L’ensemble du palais et de ses constructions possédait une couleur blanche réverbérant la lumière, celle du marbre et du calcaire des carrières de l’île de Brac, toute proche, (qui continuent de produire)***** A la mort de Dioclétien, militaire d’origine modeste, proclamé empereur par ses propres troupes en 284, après avoir gravi les échelons de l’armée, bâtisseur et administrateur intelligent, Split est rattachée à l'Empire byzantin qui, lui, perdurera jusqu’au XVès. L’endroit devient la résidence des empereurs romains qui lui succèdent et de personnages importants en exil.
Sphinx entier en basalte encore en place dans le Péristyle - ph. dong.world/split
Buste en trois marbres de Dioclétien exécuté au XVIIè s. d'après l'antique
Coll. Château de Vaux le Vicomte- fr.wikipedia.org
Vu de nuit, le Mausolée devenu Cathédrale Saint-Domnius avec ses colonnes et son campanile de 57 m de hauteur de style roman tardif dalmate - © foodiebaker.com
Que reste-t-il de l’Antiquité ? Le palais se transforme en ville lorsque les habitants de la cité de Salone menacés par la tribu des Avars puis celle des Croates (slaves méridionaux qui donnent ainsi leur nom à la région et se constituent en chefferies autonomes) s'y réfugient en 615. L'endroit devient une cité close : alors, commencent d'affreuses dégradations, transformations et surtout mutations. Car tout n’est pas détruit et l’on récupère au fil du temps des décors, des colonnes, des plaques de marbres et certains monuments pour leur adjuger une autre destination. Le plus emblématique est le Mausolée, monument grandiose bien préservé grâce à sa transformation ultérieure en église puis en Cathédrale.
Le sol était pavé de marbres noir et blanc et le sarcophage du maître était en porphyre. Deux statues de sphinx étaient placées de part et d'autre de l'escalier du porche, et il n'est pas exclu que d'autres encore aient entouré le bâtiment de granite rose. Dioclétien l’avait fait édifier pour lui et sa famille, au-dessus d’une crypte voûtée. Ce Mausolée du persécuteur des chrétiens devient vers 650 une église catholique romaine (!) où, dans des emplacements honorifiques, sont érigés des autels contenant les reliques des saints Domnius et Anastase, martyrisés sur ordre de Dioclétien, et devenus.... patrons de la ville. Sic transit gloria mundi ! Octogonal à l’extérieur avec un dôme à huit pentes, qui fut surmonté d’animaux et d'une pomme de pin, à l’intérieur il est de forme circulaire, la coupole couverte de mosaïque supportée par deux rangs de colonnes égyptiennes. Au milieu se trouvait le sarcophage de Dioclétien, plus tard saccagé et supprimé. En effet, tous les témoignages du paganisme sont détruits et dispersés au moment où la liberté de culte est enfin accordée aux chrétiens et la nouvelle religion répandue progressivement dans les villes et les ports du bassin méditerranéen. Presque tout le porche d'entrée a disparu lors de la construction du campanile****** au XIIè siècle.
Le Péristyle. Revenons aux salles de soubassement. Après les salles, on longeait un corridor qui après quelques marches, menait au Vestibule, antichambre des appartements privés ; puis au Péristyle, cour oblongue à ciel ouvert entourée sur trois côtés de colonnades, marquant le centre du palais, carrefour des deux artères principales. C’est là qu’apparaissait l’empereur du haut de sa tribune pour recevoir l’hommage de ses sujets. C'est l’endroit le plus trépidant de la vieille ville, où l’on ne sait quoi regarder tant il est riche de vestiges de toutes époques, pittoresque, animé et bruyant. Tout près du Mausolée, il y avait, au fond d’une autre cour, un petit temple avec frontons et colonnes, consacré à Jupiter ,jouant dans la résidence impériale le rôle de chapelle palatine. C’est devenu le Baptistère Saint-Jean auquel on a donné la forme d’une croix.
Vue du Péristyle, éclairé de nuit - sur la droite habitations de l'époque vénitienne pratiquées sous les arcades - ph. wikimedia commons
Le développement du christianisme fut irréversible et la reconnaissance papale depuis Rome a marqué la fin du processus de conversion des Croates et permis la nomination de rois (rex) croates chrétiens. Ceux-ci ont accepté le baptême de manière libre, entre les VIIe et IXe siècles. Ainsi des églises romanes ou gothiques s’édifient et des communautés religieuses s’établissent dans et au-delà des murs, comme un couvent bénédictin face à la porte dite d’Or, ou un monastère dominicain face à la porte dite d’Argent. Ces deux appellations sont d’origine vénitienne ; les deux autres portes étaient de Fer et de Bronze. C’est par la Porte d’Or très bien défendue que Dioclétien pénétrait dans le palais, lui et lui seul avec sa garde.
Un extraordinaire feuilletage urbain - Au cours des siècles, les habitants du Palais et les nouveaux citadins ont adapté les espaces à leurs propres besoins, il y eut même une manufacture de textile et de teinture. Ainsi les édifices de l’intérieur et les murs extérieurs avec tours ont grandement modifié l’aspect d’origine. Vers l’an 1000 l’administration d’une cité autonome s’installe. Or cent ans plus tard, les Hongrois annexent la Croatie et instituent un régime féodal. Mais rien n’empêche de riches patriciens (il y en avait déjà) de s’installer au fil du temps et de bâtir des demeures de style roman ou gothique tardif. A cette époque, la ville se transforme véritablement. Ses murs hébergent des tavernes, des artisans, toutes sortes de commerces, de marchés et d’administrations. La cité est en plein déploiement et déborde au-delà des murailles, des maisons s'adossent contre la muraille ouest, certaines très cossues. Puis, en 1409, le roi de Hongrie vend la Dalmatie à la République de Venise, qui réussit à contrôler l’essentiel des relations commerciales et économiques sur l'Adriatique.
Palais Cipriani-Benedetti sous la protection de Saint-Antoine - © visitsplit.com
Palais-Hôtel Cardo, qui faisait partie de l'extension, à la fin de la Renaissance du palais d'Augubio - © visitsplit.com
Elle sera indispensable pour aider toute la région à repousser les Ottomans. S’ensuit une période de développement économique et urbain. Les nouveaux maîtres vont alors modifier Split selon leurs goûts et leurs intérêts, mêlant des styles déjà anciens à d’autres à la mode. avec récupération de divers artefacts décoratifs. On voit surgir intra et extra muros des palais Renaissance, des maisons aristocratiques aux façades gothico-baroques. Ainsi le noble Cipriano de Ciprianis, gouverneur de l’île de Korkula érige dans un angle discret d’une place un palais aux fenêtres à double colonnade de style roman tardif, comportant une statue de Saint-Antoine. Le riche marchand de Gubbio se fait élever le palais Augubio dans la deuxième moitié du XVè siècle, mélange de gothique et de Renaissance. L'éminente famille Papalic dont le patriarche fut un ami intime du poète Marulic, conçoit un somptueux palais à l'architecture gothique exemplaire. Les Papalic acquirent plusieurs maisons au XVIè s. pour créer ce palais de 2 étages avec portail orné de leurs armoiries, escalier ouvragé, loggia à 4 colonnes, et salons où se rencontraient humanistes et lettrés. Il constitue aujourd'hui une partie du Musée de la Ville. Vers la Porte de Fer, s’élève le beau et confortable Palais Cindro, baroque début XVIIè s. appartenant également à une très ancienne famille qui participa à toutes les guerres contre les Ottomans.
Palais Cindro dans lequel s'installera le maréchal napoléonien Auguste de Marmont de décembre 1809 à mars 1811 - © visitsplit.com
Palais Milesi et la statue de Marko Marulic par le sculpteur Ivan Mestrovic dit le “Rodin croate” - ph. wikimedia commons
En 1809,y habitera le maréchal de Marmont, l’envoyé de Napoléon 1er pour gouverner les provinces Illyriennes, ayant entre autres la charge du développement des villes dalmates. Egalement au XVIIè s. est érigé le Palais Milesi, honorable et ancienne famille ; son architecture est baroque. Quant au Palais Tartaglia, de style gothico-vénitien du XVIIIè siècle, il s’est transformé en hôtel de tourisme de luxe. Autre bâtiment vénitien, l'ancien Hôtel de ville, construit en 1443 et flanqué de deux autres palais, l'ensemble donnant sur la Pjaca – pavée de marbre blanc satiné – nouveau centre politique et économique de la ville, C’est sur cette place très vivante que l’on venait et vient encore pour voir et être vu, que se trouve la plus ancienne librairie, que dans le Central Café se réunissaient les intellectuels de Split au XIXè s. et que l'ancien Hôtel Troccoli accueillait les premiers touristes de Split.
12 mai 1797, la chute de Venise et les apports français - Venise cesse d'être un état pour devenir une simple ville Le 15 mai, le Doge quitte le palais des Doges pour toujours. S’ensuit le sac de Venise et la remise de la ville par les Français à l'Autriche dont le gouvernement durera sept ans. Mars 1805, le traité de Presbourg cède la province vénitienne autrichienne à la France et le 26 mai, Napoléon, récemment devenu empereur des Français, se fait couronner roi d'Italie (!). Venise revient ainsi sous le contrôle français. En 1808, la Dalmatie est également annexée au royaume napoléonien d'Italie, dirigée jusqu'en 1809 par un Intendant
Palais Papalic devenu Musée de la Ville © visitsplit.com
Ancien Hôtel de Ville, gothique-vénitien place Narodni dite Pjaca
ph. wikimedia commons
général, puis elle devient partie intégrante des provinces illyriennes de l'Empire français, avec la Slovénie et le nord de la Croatie. Le général Auguste de Marmont (1774-1852) - plus tard maréchal et duc de Raguse - en est nommé gouverneur général, étant depuis 1806 commandant en chef de l‘armée. Ces provinces illyriennes, bien que devenues partie intégrante de l'Empire français, sont indépendantes en raison de leur éloignement. Marmont y a les pleins pouvoirs et y arrive le 16 novembre 1809. Ses tâches sont les relations avec la Turquie, la mise en place de réformes, le développement de routes et de l’urbanisation, le maintien de l'ordre et bien sûr le respect du fameux blocus continental. A Split, endroit qu’il apprécie, enchanté par le Palais de Dioclétien, il en fait son lieu de séjour .
La rue Marmontova sous le soleil de midi - © visitsplit.com
Après la démolition des remparts vénitiens, Il fait ouvrir à l’ouest, une large et belle rue, appelée rue Marmontova par les Splitois en remerciement de son efficacité. Cette rue très agréable et moderne, pavée de dalles blanches luisantes, marque la limite à l'ouest de la vieille ville vénitienne. C’est une voie commerçante de bon niveau, car depuis le Quai jusqu’au haut de la rue s’égrènent boutiques et hôtels de luxe, édifices privés de style Sécession, établissement de bains d’eaux soufrées, édifié en 1903 et étonnamment un exceptionnel marché aux poissons de style Art Déco où l’on peut acheter tous les poissons dont regorge l’ Adriatique.
Au nord de la rue, le choix de restaurants et de cafés à la mode est vaste. Cette voie possède une importance culturelle certaine car, en 1922 y fut fondée la bibliothèque pour les francophiles, ainsi que la première salle de cinéma ; en outre, elle mène au nord à une place où se dresse le Théâtre National au style néo-renaissance. Plus esthète que conquérant, ce cher et cultivé Marmont prit une part directe et personnelle dans les plans d'embellissement de la ville, car il estimait que c’est “un des lieux dont les restes donnent la plus haute idée de la grandeur romaine”. Ce qui fit dire à Napoléon : "La Dalmatie me coûte immensément."
Le marché aux poissons - © visitsplit.com
Vue, depuis la baie, de la Riva et de la cathédrale illuminées - ph flixbus.fr
Malgré cela, il fait aménager “un magnifique quai de plusieurs centaines de toises et un beau jardin public" en récupérant les décombres du Kastel vénitien qu’il avait fait détruire et dont il ne reste qu’une tour hexagonale. C'est ainsi qu'il fit prolonger, élargir et planter l’étroite berge le long de la muraille sud à laquelle a été donnée l'appellation de "Riviera française" ou de Riva, devenue un paradis pour les promeneurs de jour comme de nuit. De nombreux événements culturels et joyeux y sont organisés, mais c’est aussi un forum politique quand les têtes échauffées splitoises discutent fort et provoquent des rassemblements massifs...
Au début de mars 1811, Marmont obtient une permission pour rentrer quelque temps à Paris. Il ne reviendra pas. Il fut regretté ! L’inconstant Napoléon l’envoie en Espagne. Puis les XIXè et XXè siècles apporteront leur inéluctable modernité à Split qui peaufinera inconsciemment son originalité attachante, son charme, sa vie et sa grandeur dans ces mélanges de strates historiques, de maladresses sans style, de constructions et de déconstructions à la va-vite, agrégés dans et autour de l’ ensemble monumental de Dioclétien.
Sérène Waroux - 2021
Notes
* Peuples originaires de Haute-Asie qui ont dominé une partie de l'Europe orientale entre les années 560 et l'an 800 et qui migrèrent vers l'ouest, en poussant devant eux les peuplades turco-mongoles conquises.
** Longtemps ils furent considérés comme une "tribu" dangereuse et non comme des citoyens à part entière. Les persécutions de Dioclétien, les plus sanglantes du christianisme naissant, ne vinrent pas à bout de la communauté chrétienne de l'Empire. Ironie de l’histoire, c’est en 324 apr. J.-C., que l’Empire romain d’Orient (celui de Byzance) accueille le premier empereur chrétien de son histoire, Constantin 1er, soit 11 ans seulement après la mort de Dioclétien !
*** R .Adam fit de son étude du monument une théorie architecturale originale et, à Londres en 1764, elle fut gravée et publiée dans un très beau folio. Il influença l'Angleterre de son style néoclassique qui eut un impact significatif sur l'architecture et la décoration anglaises.
**** En effet, Dioclétien connaissait l’Egypte dès 288, pour y avoir entrepris le remaniement de son système défensif. Plus tard, entre 297 et 298, il repartit consolider les frontières de l'immense empire romain et combattit tout ce qui menaçait son pouvoir. Il connaissait donc les trésors des pharaons et se servit
***** “Ce calcaire au grain si ténu, à la peau incomparablement claire”, a été utilisé dans la construction de la Maison Blanche, des Parlements de Vienne et de Budapest entre autres. Les carrières sont toujours en service.
****** campanile et non clocher ; à ne pas confondre
******** En dépit d'être un officier qui s'était distingué par sa bravoure dans de nombreuses batailles, Marmont était une personne très éduquée et cultivée. Dans ses mémoires il raconte que "lors de ses campagnes militaires il transportait constamment avec lui une bibliothèque de six cents ouvrages et que ces livres étaient un vrai délice pour lui-même et ses officiers dans les moments de repos ! " Un peu infatué, il écrit à propos de lui-même : "Les Autrichiens pendant huit ans, ont fait et discuté des plans de routes sans les exécuter ; Marmont est monté à cheval pour les faire, et quand il est descendu, elles étaient terminées !"
On rapporte que l'Empereur d’Autriche, François Ier avait visité la Dalmatie en 1817, après le départ des Français, il était resté émerveillé par les routes au point de demander fort étonné au prince Metternich l’accompagnant qui avait bien pu construire ces routes. Lorsque le prince lui eut répondu qu'elles avaient été construites par les Français, il lui déclara : "Il est bien fâcheux que le maréchal Marmont ne soit pas resté en Dalmatie deux ou trois ans de plus." !
Vestiges de la Porte d'Argent et début du marché artisanal - ph. wikimedia commons
Sitographie
-
viagallica.com/croatie/ville_split_-_vieille_ville
-
dicocroate2.over-blog.com/article-le-general-marmont-a-split
-
voyageursdumonde.fr/voyage-sur-mesure/voyages/croatie
-
jacqueslanciault.com/2011/12/10/split/immense-palais-de-diocletien
-
visitsplit.com/fr/448/le-palais-de-diocletien
-
virtual-trip.fr/split-palais-de-diocletien
-
wikipedia - Le Palais de Dioclétien (excellent article)
Bibliographie
-
persee.fr - À travers le palais de Dioclétien à Spalato
E. Hébrard J. Zeiller - Mélanges de l'école française de Rome - 1911
-
Guide de la Croatie - Encyclopédies du Voyage - Ed. Gallimard 2012