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Pubs Anglais : demandez le Ploughman's Lunch

John Frederick Herring-déambulations européennes

The Ploughman's lunch (Le Déjeuner du Laboureur) par le peintre John Frederick Herring

“Mieux vaut un repas frugal, assaisonné par l'affection, que la table la mieux garnie avec la haine pour convive.”      L. P. Legay* 

S'il est une nourriture qui évoque l'image d'une Angleterre bucolique pratiquement disparue, comme dans de multiples pays européens, c'est bien le "déjeuner" du laboureur - ploughman’s lunch en anglais - un casse-croûte de pain de seigle et de fromage accompagné d’une pinte de cervoise**, destiné à combler les estomacs des paysans qui retournaient la terre, ensemençaient, récoltaient et entretenaient leurs bêtes et leur matériel.

Il est aisé de comprendre pourquoi le pain, le fromage et la cervoise constituaient autrefois le repas traditionnel de ces travailleurs. C'étaient des aliments très courants, faciles à transporter, nourrissants et ne nécessitant pas de cuisson.

On rapporte qu’au XIIIe siècle, déjà, ceux qui moissonnaient dans les grands et riches domaines, les jours de repos - la moisson n'attend pas ! - recevaient de leurs exploitants les plus généreux, à midi, potage, pain de froment, viande et fromage et, le soir, pain, fromage et cervoise, plus tard appelée bier, ale ou stout selon les goûts, la fabrication, la couleur, la teneur en alcool et les régions. Ce qui équilibrait le “menu” routinier.

Car seuls le pain et le fromage  constituaient la base du régime alimentaire des travailleurs ruraux : le fromage au lait écrémé, complété par un peu de saindoux, était leur principale source de graisses et de protéines. Les oignons étaient le condiment préféré,  car sources de vitamines, de fibres et de fraîcheur.

Moissons, peinture victorienne-déambulations européennes

Champs moissonnés avec gerbes de blé - peinture époque victorienne

Un prédicateur puritain du XVIIe siècle affirmait sans rire, que, pour le laboureur, ce casse-croûte était "plus savoureux et moins source de maladies que la plénitude et la variété des riches". Au XVIIIe s. rien n’a évolué. Le lexicographe londonien, Francis Grose, dans A Provincial Glossary***, notait que les laboureurs du Kent  "mangeaient un peu de pain de seigle et de fromage et buvaient de la bière en sortant des champs à dix heures du matin et à six heures du soir “.

Quatre fromages anglais-déambulations européennes

Plateau de 4  grands fromages anglais avec chutney et crackers

Un siècle plus tard, le célèbre romancier Anthony Trollope, dans son ouvrage Les Enfants du duc,  fit ce commentaire : “Un ouvrier rural assis au bord du fossé avec son pain, son fromage et un oignon en tire plus de plaisir que n'importe quel Lucullus“.  Quel toupet !

Dans les pubs, notamment dans les bourgs, on se rendit compte que proposer un "repas" de pain et de fromage était devenu un atout commercial judicieux.  Car cela ne nécessitait aucune préparation, les ouvriers agricoles y étaient habitués ; mais surtout, le fromage, particulièrement sec et salé - goûtez au vieux Cheddar, vous verrez ! - donnait soif aux consommateurs et les faisait ingurgiter plus de bière ! 

Jusqu’au début du XXe siècle, c'était encore le repas proposé dans de nombreux pubs. Le journaliste Martin Armstrong observait en 1932 que "dans les auberges de campagne, où le pain, le fromage et la bière semblent si extraordinairement bons, l'alternative est généralement nulle ; et comparés à rien, le pain, le fromage et la bière sont incomparables". Merveilleux humour anglais !

D’ailleurs, cette habitude était tellement ancrée chez  les ouvriers agricoles que dans les pubs qui faisaient “évoluer” le menu, certains se sont un jour rebellés pour obtenir leur pain, leur fromage et leurs pickles**** !

Ce repas frugal était connu - dans toutes les régions du Royaume-Uni - sous le nom de bread and cheese plutôt que Ploughman’s lunch. Le reste du temps, les ingrédients des repas de la population modeste étaient : avoine, pois, haricots, légumes-racines, choux, oignons ou poireaux - on l’a vu dans l’article Aux bonnes soupes d’Europe - un peu de viande, les jours gras : mouton ou bacon, ou kippers, selon les contrées, et pain de seigle recouvert de saindoux le matin au lever. On y trouve les aliments qui constitueront la base du célèbre breakfast à l’époque victorienne, à l'exception des oeufs vendus aux gens riches.  

Portrait  Walter Scott-déambulations européennes

Sir Walter Scott par Henry Raeburn

Salisbury-New-inn-déambulations européennes

The New Inn, Pub plusieurs fois centenaire, situé à Salisbury (Wiltshire)

Selon l’éminent Oxford English Dictionary, la dénomination remonterait à 1837, dans Les Mémoires de la Vie de Sir Walter Scott rédigés par John Lockhart, écrivain écossais.

Bien plus tard, on finit par lire la mention, dans les quotidiens des années 1950, que les repas à base de pain, de fromage, de pickles et de bière étaient populaires avant la guerre mais le rationnement a causé leur disparition... 

Par conséquent, dans les années 1960, à la faveur d’une campagne de marketing destinée à relancer la consommation de fromage, le Ploughman’s lunch contribua à transformer l'association pain et fromage en plat de Pub chic, varié et équilibré. Cela, dans le but de séduire les jeunes générations de citadins et de bourgeois. On obtint ainsi, une ”assiette-repas" complète et gourmande. Et le nombre de créations fromagères bondit !

"Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ?" Le général de Gaulle, par cette boutade restée célèbre, fit sourire les Français dans les années 1960. On le sait, la France est un pays de fromages, comptabilisant, 60 ans après, 400 variétés - à ne pas confondre avec les appellations - il n'est pas surprenant qu’elle ait la réputation d'être l'un des plus grands créateurs et producteurs de fromages au monde. C'est l’aliment parmi les plus appréciés sur la planète. Il se décline en de nombreuses textures, saveurs et odeurs, selon leur origine, qui en font un apport incontournable en gastronomie et, pour la santé, car riches en vitamines D, B2, B9, B12 et protéines.

Or la Grande-Bretagne fit des efforts considérables en quelques décennies et parvint à créer de nouvelles variétés  de fromages à pâte dure, pâte molle ou pâte persillée (bleus) et a compris qu'au moins trois sont nécessaires pour composer un plateau parfait. Parmi eux, les plus anciens et goûteux sont :

- Le Cheddar, originaire du village de Cheddar dans le Somerset - sud ouest de l'Angleterre - produit depuis au moins le XIIe siècle. Sa pâte dure, jaune pâle, possède un goût prononcé de lait de vache, qui se développe avec le temps. Les Gorges de Cheddar en limite du village comportent des grottes à visiter absolument, qui fournissent l’humidité et la température idéales pour la maturation du fromage, depuis des siècles. Il semble que le Comté et le  Beaufort soient les fromages français les plus approchants.

cheddar-déambulations européennes
Blue stilton-déambulations européennes

- Le Blue Stilton, ce fromage n'a droit à l'appellation AOP de Stilton que s'il est produit dans les comtés de Derbyshire, Leicestershire, et Nottinghamshire. L'histoire de ce fromage remonte au début du XVIIIe siècle, mis au point par une astucieuse fromagère, Frances Pawlett. Elle a conçu une pâte persillée avec une texture crémeuse mais friable et une saveur délicate. Il doit être produit avec du lait de vache local, former sa propre croûte et ne pas être pressé (unpressed). Traditionnellement, les Britanniques le dégustent sur des crackers, accompagné d’un doigt de madère, après le dîner. Les variétés françaises semblables sont le Bleu d'Auvergne et le Bleu de  Bresse.

- Le Chester est un fromage dense, à la texture veloutée, légèrement salée et son goût évoque la noisette, un peu comme notre Cantal. Il est fabriqué obligatoirement (AOP) avec le lait des vaches du Cheshire, région laitière, et dans les quatre comtés alentour. C’est un des plus vieux fromages dans l'histoire britannique. Il est pour la première fois mentionné par écrit dans  le Shropshire en 1580. Mais déjà, au 1ᵉʳ siècle, alors que les Romains établissaient leur garnison - chester vient du latin castrum - dans la verte vallée de la Dee, les soldats de la 20ᵉ Légion grillaient des morceaux de Chester sur le feu à la pointe de leurs glaives. Pas bête !

Cheshire-déambulations européennes

- comme pâte molle, le Bath Soft Cheese de la famille des bries, est fabriqué à partir de lait de vache entier. Il est originaire de Bath, dans le verdoyant Somerset et réputé depuis le XVIIIe siècle, quand les artisans salaient encore les jeunes fromages à l'aide d'une plume ! Il fut même recommandé à l'amiral Nelson par son père, dans une lettre adressée peu après sa victoire à la bataille de Copenhague en 1801 : “Me rappelant que Sir William et Lady Hamilton semblaient satisfaits de la saveur d'un fromage à la crème, j'ai pris la liberté d'envoyer 2 ou 3 fromages de fabrication Bath. Je suis, mon cher fils, votre très affectueux Edmund Nelson”. La texture du Bath Soft Cheese est crémeuse, au goût subtil, car il possède un parfum herbacé et aromatique, sa croûte est blanche et fleurie. 

 Brie de Bath-déambulations européennes

Les medias parlent beaucoup d’une marque récente de brie cheese, fabriquée à la ferme, dans le Suffolk, à partir du lait cru des Montbéliardes. Il présente une pâte onctueuse qui se tartine sur du pain frais. Les critiques britanniques estiment qu’il surpasse le brie français, or, c’est ignorer celui des authentiques artisans de la Brie qui ont à coeur de le fabriquer dans le pur respect de la tradition briarde. Dont la renommée Ferme des 30 Arpents, exploitée par la famille Rothschild, où se trouve le seul Brie de Meaux Fermier AOP ! Il est bon de savoir que le vrai brie - il est attesté que le roi Robert le Pieux dégustait déjà du brie, au goût et à l’odeur prononcés, au château de Melun en… 999 - fut surnommé le Prince des Fromages depuis sa victoire au championnat du monde de 1814 et qu’il constituait une vraie gourmandise pour Metternich, chancelier d'Autriche !

Comment les pubs ont-ils sublimé un simple casse-croûte ?

On a vu plus haut que le rationnement dû à la guerre avait modifié les habitudes de consommation. Il fut donc créé un Cheese Bureau (Bureau du Fromage) en 1956 dans le but de “démontrer l'affinité naturelle des trois parties : pain, fromage !” et... bière. Outre des pages de publicité dans les magazines, des dégustations furent organisées en grande pompe dans des salles de province, parrainées par des célébrités du moment. Elles devaient lancer de vibrants plaidoyers en faveur de la "vieille alliance de la bière et du fromage“, qui étaient concrétisés aussitôt par des assiettes de fromages, pain, beurre et pickles accompagnées d’une pinte.

Tout s’accéléra en 1957 quand eut lieu conjointement une dégustation mémorable organisée à Londres par le Cheese Bureau et la Brewers' Society (Bureau du Fromage et Société des Brasseurs) en présence de 500 personnes. Après avoir goûté 16 fromages populaires arrosés de bières  londoniennes, ils consommèrent un Ploughman’s lunch composé de “pain blanc, de fromage, de laitue, d'œufs durs, de saucisses froides et, bien sûr, de bière”. Et l’on persuada les convives que “c’était un repas de midi que l'on pourrait s'attendre à trouver dans n’importe quel pub où les clients ne souhaitent pas consacrer beaucoup de temps ni d'argent à leur déjeuner.”

Page de pub-1950-déambulations européennes

Page de publicité des années 1950 pour

les produits laitiers

Pub à Battle-déambulations européennes

L'antique Pub  The White Hart Inn situé à Battle (Sussex)

D’autres shows identiques eurent lieu au début des années 1960 puis les tenanciers de pubs prirent conscience du bénéfice à tirer de cette simplicité. Ils affichèrent : "Bien que le déjeuner ne soit pas servi, des salades et un Ploughman's Lunch – bière et fromage – sont toujours disponibles ". Le Ploughman’s lunch s’ancra donc au menu des pubs pour plusieurs motifs dont l’effet de mode et l’exploitation de la nostalgie de l'époque d’avant-guerre.

Le plaisir et  la beauté d'un déjeuner Ploughman's 

Actuellement, les pubs privilégient les fromages de leur région. Ils y mêlent jambon rôti à la mélasse accompagné de moutarde anglaise - très différente de celle de Dijon - de pickles : petits légumes marinés dans le vinaigre ; de chutney*****, de tranches de concombre, d’une branche de céleri, de quelques radis et tomates cerises et de pain au levain toasté. Pour la fraîcheur, quelques tranches de pommes, des grains de raisin des fraises ou des cerises, selon le mois. Pour les plus gourmands, quelques macarons anglais. Un déjeuner tout-en-un Ploughman's réside dans sa diversité et dans l'absence de règles, d’autant plus que chaque comté d’Angleterre a quelque chose à offrirsalé ou sucré, au gré des saisons et des cuisiniers.  

Ploughmans-lunch-déambulations européennes

Ploughman's lunch avec galantine, scotch-eggs, cheddar et chester

Comme une sélection de charcuteries : jambon cru ou cuit à l'os, rosbif, rôti de porc froid, galantine, salami gallois, roulé de saucisse, viande fumée, boudin froid, vrai corned-beef effiloché et pressé à la main, pâté de campagne, mini-tourtes de porc et bien souvent un scotch-egg.                                                 

Objet gourmand non identifié : le scotch-egg  (œuf à l'écossaise). Lycéenne, je fus envoyée en été dans une famille habitant Cambridge, afin de parfaire mon anglais. J’avais beaucoup à découvrir - en dehors de cette somptueuse cité - en matière d’habitudes de vie, de gastronomie et de culture. Un jour, à la faveur d’un pique-nique, je fus plongée dans la plus grande perplexité quand on me tendit deux moitiés de scotch-egg froid. Surtout accompagné de pâtes en salade... Pas le choix, j'ai dû m’adapter ; j'ai survécu !

Mais cela n'avait vraiment rien à voir avec ce que le fameux chef Antonin Carême sut concocter à la cour du Régent au XIXe siècle...

Cependant dès les années quatre-vingts d'immenses progrès, en imagination, exigence et cuisson, ont été réalisés en matière de gastronomie de tous les jours.

Le scotch-egg est une recette mise au point en 1738 par le magasin entièrement dédié à l’alimentation de haute qualité, Fortnum & Mason, fournisseurs de la Cour. Cet établissement londonien - tout comme Harrod's - est un pur symbole de la culture britannique, vendant des produits exotiques variés et des spécialités culinaires prêtes à consommer, nées à l'époque des longs voyages en diligence puis en train.

Contrairement à son nom, ce plat n'est pas écossais. car son concept fut rapporté d’Extrême-Orient par des employés de la Compagnie des Indes Orientales ; on en trouve quelques versions dans plusieurs pays. Il s’agit d’un œuf encore mollet niché dans une boule de chair à saucisse parfumée d’ail ou d'échalote en poudre ou de piment ou d’origan ; le tout est roulé dans une chapelure fine puis frit. C'est bien meilleur servi chaud avec un condiment un peu relevé !           

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Une des multiples  variétés de chutney de Fortnum and Mason

FortnumandMason-déambulations européennes

Scotch-eggs, fromages et condiments proposés par Fortnum and Mason - Londres

Que boire avec une assiette aussi appétissante ?

On l’a vu, la vieille tradition est de boire une pinte de bière, britannique si vous êtes au Royaume-Uni, comme une porter, une stout , une pale ale, une cask ale, une lager ou une bitter. Le choix est immense. La plus consommée,****** actuellement, est une ale moyennement alcoolisée, très houblonnée et souvent accompagnée de saveurs exotiques. Influence du Commonwealth.

Bières pression-déambulations européennes
Verres de blanc anglais-déambulations européennes

Mais si l’on prévoit un déjeuner décontracté entre amis, dans un pub réputé et exigeant, rien ne vaut une flûte de vin effervescent anglais, issu des coteaux ensoleillés du Sussex. Et pourquoi ne pas essayer, si l’on a l'intention de célébrer un événement, un champagne comme le Highgrove Cuvée Champagne Blanc, créé spécialement pour le domaine de Charles par Laurent-Perrier, sec, fruité et vif, qui a l'avantage de contrebalancer l'onctuosité des fromages ?

Ne dit-on pas, en France, que “le vin fait chanter le fromage” ?

Sérène Waroux  - 2025     

Notes

 * Les mères dévouées ou Histoire de deux familles françaises -  Éd. en 1814

** Cervoise : ancêtre de la bière , parfumée aux plantes aromatiques. A laissé la place après le moyen-âge à la boisson houblonnée " bierre"

*** Glossaire Régional - 1787

**** Petits légumes marinés dans le vinaigre

***** Préparé à partir de fruits ou légumes, mélangés à des épices, des herbes aromatiques, du vinaigre et du sucre, pour accompagner des viandes froides ou des fromages. Sa consistance ressemble à celle de la confiture. D’origine indienne et pakistanaise.

****** A consommer avec modération

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