top of page

Forêt-Noire et Pompons Rouges

Forêt-Noire/Déambulations européennes

Forêt-Noire typique  © Schwarzwald Tourismus

“Un repas équilibré, du point de vue d’un petit garçon, c’est une part de gâteau dans chaque main" !   
Forêt-Noire/Déambulations européennes

Jeunes filles au Bollenhut © Schwarzwald Tourismus

Si vous projetez de vous rendre dans la belle région de la Forêt Noire, ce massif montagneux et très boisé du Bade-Wurtemberg en Allemagne, je vous recommande de démarrer votre visite depuis Baden-Baden. C’est une ville magique par bien des aspects  tant elle est opulente par son histoire, sa culture, sa beauté, ses richesses thermales et son environnement. Elle sert de portail d’entrée au Parc national de la Forêt Noire. 

Prenez la Route des Crêtes (“Schwarzwaldhochstrasse“), route renommée qui offre des points de vue magnifiques sur la vallée du Rhin et les Vosges, et pénétrez en quelques minutes seulement au milieu d’une nature vallonnée faite de hêtres, de sapins et d’épicéas à perte de vue. Au bout de quelques kilomètres vous apercevrez le “Mummelsee” ou Lac de Mummel, couleur d’émeraude. Arrêtez-vous là.

Quand vous aurez fait à pied le tour de ce petit lac glaciaire, nimbé d’une très ancienne légende - car si son nom signifie nénuphars blancs, il fait aussi allusion aux ondines qui peuplent ses profondeurs et qui remontent à la surface chaque nuit -  allez au Berghotel Mummelsee vous délecter d’une bonne part de Schwarzwälder Kirschtorte, textuellement "Gâteau aux cerises de la Forêt Noire" sa spécialité, délicieuse préparation appelée en français Forêt-Noire.

Lac Mummelsee/Forêt-Noire-déambulations européennes

Le Mummelsee et le Berghotel Mummelsee

La double histoire de la Forêt-Noire. Qui en est le père ?

Josef Keller ? - La Forêt-Noire n’est pas une pâtisserie très ancienne, 

car on n’en trouve pas trace avant le début du XXè siècle mais il semblerait que ce soit la transformation en 1915 d’un simple dessert - déjà apprécié au XIXè siècle dans la région - à base de cerises locales au sirop, de crème fraîche fouettée et de kirsch, sous les doigts habiles du pâtissier Josef Keller. 

J.Keller/Forêt-Noire/déabulations européennes

Le génial pâtissier Josef Keller dans les années trente

Mais en 1915 la guerre sévissait en Europe et Josef fut incorporé dans un bataillon d'infanterie. Ce n’était plus le moment de penser au gâteau aux cerises, qui, de ce fait, fut oublié.

Par chance, démobilisé, Josef put ouvrir en 1919 une pâtisserie à Radolfzell am Bodensee, sur la partie inférieure du Lac de Constance, qu'il dirigea jusqu'en 1947, où il  reprit son idée qu'il fit évoluer comme l'aurait fait n’importe quel pâtissier créatif.

Josef revendiqua la paternité de ce gâteau dans un texte de sept lignes qu’il coucha par écrit plus tard en 1927 dans un cahier légué à son apprenti, puis remis par celui-ci aux archives de cette ville.

Forêt-Noire/déambulations européennes

Page du cahier de recettes de Josef Keller. Archives de Radolfzell.

ou Erwin Hildenbrand ? - Rendons-nous à Tübingen, toujours dans le Bade-Wurtemberg. Il semblerait que d’après l’archiviste municipal ce soit Erwin Hildenbrand, maître-pâtissier au Café Walz, qui ait “mis au point” la vraie recette en 1930. Mais nous n’avons aucune preuve réelle qu’il en soit l’inventeur même si une photo datée de 1936 le montre en train de préparer une Forêt-Noire. Toujours est-il qu'à la fin des années cinquante, les glacières qui permettaient de conserver la crème fouettée s’étant généralisées, la recette a essaimé dans les cafés, les restaurants et les familles du pays, jusqu’à devenir la préférée des Allemands et...  conquérir le monde.

Todtnauberg/Forêt-Noire/Déambulations européennes

Le charmant village de Todtnauberg sous la neige

Depuis quelques années, il existe, dans le village de montagne de Todtnauberg, un concours où amateurs et pâtissiers professionnels présentent à un large public leur savoir-faire et leurs créations à base de crème fraîche, génoise au cacao, griottes, chocolat et kirsch, ingrédients tous obligatoires. Toutes les réalisations sont récompensées, mais le premier prix est remis à celui qui, alors, devient le Roi du gâteau de la Forêt Noire. Tout est vendu au profit d'oeuvres charitables.

Pompons rouges et costume noir et blanc

L’aspect définitif de cette pâtisserie viendrait-il du costume traditionnel des femmes protestantes de cette région de la Forêt Noire, laquelle regroupait quatre villages : Gutach, Kirnbach, Wolfach et Reichenbach près de Hornberg ?  Soit une jupe noire, un chemisier en coton blanc aux manches bouffantes, un boléro de velours noir brodé, un col orné de guirlandes, des bas de laine blanche, un bonnet de soie noire et un Bollenhut - étonnant chapeau de paille blanche supportant quatorze pompons de laine volumineux - disposés en croix, trois étant invisibles, l'ensemble ayant un sens caché - rouges pour les jeunes filles (qui annonçaient de façon claire qu’elles étaient des coeurs à prendre et donc vierges) et noirs pour les femmes mariées (on symbolisait le mariage par la couleur noire, en signe de deuil ?) En raison de son aspect pittoresque mais également par le biais de divers films à caractère patriotique, le Bollenhut, qui peut peser jusqu’à 2 kg,  devint un emblème pour l'ensemble de la Forêt Noire. Celle-ci comporte pourtant cent-vingt costumes traditionnels ! Ces ensembles sont encore portés, lors de mariages et d'événements festifs et transmis à la génération suivante. Il y a quelques années fut inauguré le Festival du Costume du District de Wolfach, joyeux et très couru.

Bollenhut/Forêt-Noire/déambulations européennes

Le véritable Bollenhut.  

Ph. stuttgarter-zeitung.de

Est-ce une coïncidence poétique si le gâteau porte les couleurs de cette élégante tenue ou s’agit-il de l’esprit d’à-propos de Josef Keller qui lui confère ainsi une identité définitive ? Nul ne peut le dire maintenant, mais le costume tel qu’on le connaît remonterait aux années 1750. On en possède des images datant des années 1820 à 1850 car il fut dessiné par l’illustrateur strasbourgeois Charles Lallemand. Celui-ci édita aussi, en 1866, avec un photographe les premiers clichés du costume féminin de Gutach comportant le Bollenhut, accompagné du costume masculin de l’époque.     

Forêt-Noire/Déambulations européennes

Laublehof  - Peinture de Curt Liebich 

Par ailleurs, après que le village de Gutach eut été connecté au chemin de fer de Bade, en 1873, des artistes-peintres accoururent et se mirent à reproduire sur le motif ces spectaculaires tenues. Comme Curt Liebich, Wilhelm Hasemann et Fritz Reich qui, finalement, s’installèrent pour former une petite colonie d’artistes - un peu comme à Barbizon en France. Leurs oeuvres furent massivement diffusées au travers de magazines illustrés et de cartes postales. C’est ainsi que les représentations des coutumes rurales et des paysages bucoliques de Hasemann et Liebich ont façonné une image charmante et  touristique de  la  Forêt Noire au début du XXè siècle.

Passons aux ingrédients et à la préparation du gâteau.

Ingrédients et préparation de la Forêt-Noire

Pour 8 personnes plus... un petit garçon qui désire une part dans chaque main : 

  • Pour la génoise : 4 oeufs, 125 g de sucre, 90 g de farine tamisée et  35 g de cacao amer.

  • Pour le sirop : 20 cl d'eau, 150 g de sucre, 3 bonnes cuillerées à soupe de kirsch authentique.

  • Pour la garniture : 150 g de copeaux de chocolat noir, 800 g de véritables griottes (ou montmorency) au sirop - repérer les 10 plus belles et les mettre de côté pour la décoration finale - 50 cl de crème liquide entière très froide et 50 g de sucre glace.

Préparation 

Attention : la génoise est à confectionner la veille afin qu’elle reste ferme au moment du découpage et du montage, car elle est très fragile.

Forêt-Noire/Déambulations européennes

Café Goldene Krone ©Hochschwarzwald Tourismus GmbH

  • GénoiseBattre manuellement, mais vigoureusement, les jaunes d’œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse et soit mousseux. Y incorporer très délicatement la farine tamisée avec le cacao, sans laisser retomber le mélange. Verser dans un moule rond à génoise de 21 cm, préalablement beurré. Puis mettre 25 minutes au four à 180°. La démouler sur une grille, la laisser à température ambiante jusqu’au lendemain. 

  • Garniture : monter la crème fraîche en chantilly avec le sucre vanillé et le kirsch, sans ajouter de gélatine. Napper de kirsch les griottes égouttées. Puis faire un sirop avec les 20 cl d’eau et les 150 g de sucre. A ébullition, ajouter 100 ml de kirsch et retirer rapidement du feu.

Montage : découper la génoise en trois disques de même épaisseur. Imbiber le premier d’un tiers du sirop obtenu, couvrir d’un tiers de la crème fouettée à l’aide d’une spatule, répartir un peu moins des 2/3 des cerises. Recommencer l'opération pour le deuxième disque avec le troisième tiers des cerises. Imbiber le dernier disque de sirop et recouvrir de crème en la lissant délicatement y compris sur tout le pourtour, décorer de 150 g de chocolat noir dont on aura fait de jolis copeaux fabriqués à l’avance, et des 10 cerises mises de côté. Mettre au frais une bonne heure, puis servir et savourer ! On complète la décoration en disposant des rosaces de crème fouettée à l’aide d’une poche à douille et en chapeautant chacune d’une cerise.

Le diable se cache dans...l'eau-de-vie !

Pour les vrais connaisseurs et les gourmets exigeants, l’ingrédient majeur est cet alcool clair, double distillé, le kirsch*, qui frise les 50° parfois les 60 ! C’est lui qui distingue la recette originale des mauvaises copies et il est... irremplaçable. Il faut bannir le kirsch dit ”fantaisie” à base d’alcool neutre parfumé au kirsch et à l’essence d’amandes. En outre, tous les pâtissiers ou cuisiniers de la région de la Forêt Noire vous diront que le kirsch doit imprégner la génoise, les griottes et la crème...

Forêt-Noire Alambic/Déambulations européennes/Savourez

Alambic à l'usine de distillation Arnold Holstein. Ph. Martin Barth 

Le kirsch authentique doit vieillir au moins un an, ce qui lui procure un bouquet puissant et fruité, un goût très fin et comme on dit : “doux au nez et en bouche”. Celui de la Forêt Noire est fabriqué à partir de variétés de guignes (fruits à chair tendre un peu acidulée)  et de merises (petits fruits rouge-foncé presque noirs à chair ferme et mince) entières, écrasées puis fermentées naturellement en tonneaux et enfin distillées.  C'est la condition préalable à son parfum. Le kirschwasser est produit avec beaucoup de soin et de respect par d'innombrables distilleries artisanales et ancestrales en Allemagne.

Au fur et à mesure des années, certaines personnes refusant tout alcool, ont remplacé les griottes par des cerises amarena au sirop car très parfumées et sucrées. En conséquence beaucoup de pâtissiers - en France en tout cas - ne versent plus une seule goutte de kirsch dans ce qu’ils osent nommer “Forêt-Noire.”  J’en ai fait l’expérience il y a quelques années chez un pâtissier en m’assurant qu’il y avait bien du kirsch dans sa Forêt-Noire. Il m’a été répondu vigoureusement : “Ah, non !” . J’ai donc demandé benoîtement s’il mettait du rhum dans ses babas au rhum. Il a rétorqué - agacé - “Bien sûr, mais ce n’est pas pareil !” Sans commentaire, je lui ai laissé sa fausse forêt-noire et ses babas.

Delphine d'Alleur - 2020

*à consommer avec modération

 

Références

Sauf mentions, photos Wikimedia Commons

bottom of page