Le Smörrebrod, Nourriture Historique du Danemark
Nyhavn, le vieux port de Copenhague
"Au Danemark, le hygge n’est pas une tendance mais un véritable art de vivre." Louisa Thomsen Brits
Qu’est-ce que le smörrebrod ? Ce terme danois signifie textuellement « pain beurré ». C’est une véritable institution. On peut faire remonter son histoire à l’époque des Vikings. Le smorrebrod de base fut longtemps composé d’une tranche de pain noir sur laquelle était tartiné du saindoux, recouvert d’un épais filet de hareng cru, salé ou fumé ou mariné. C’était une des nourritures essentielles de la population Le petit-déjeuner était constitué de hareng. Nettement plus roboratif que le café noir-biscotte de la Parisienne !
Gabriel Metsu - La marchande de harengs 1660
L’argent de la mer
Le hareng, exceptionnellement nourrissant et se conservant très bien dans le sel, le vinaigre ou fumé, fit la fortune du port de Copenhague. On raconte même que sans le hareng Copenhague n’aurait pas existé ! Il se déplace en très longs bancs dans les eaux froides de la mer du Nord et de la Baltique. Il fut une époque où il était si abondant dans l’Oresund, le détroit qui sépare le Danemark de la Suède, qu’il suffisait depuis une barque de plonger la main dans l’eau pour en attraper. Pêché en très grandes quantités, salé et mis en tonneaux, il fut exporté dans toute l’Europe du Nord dès le moyen-âge et servit de monnaie d’échange à l’époque de la Hanse. Longtemps les Scandinaves le surnommèrent « l’argent de la mer ».
La chair du hareng est très riche. Elle possède de multiples bienfaits pour la santé car elle contient des protéines, des lipides, des acides gras oméga-3, des vitamines A et D, du phosphore et du sélénium, un antioxydant. Les Danois, qui le pêchent pendant les mois de mai à août, ont appris au cours des siècles à le déguster sous des préparations variées, toutes plus savoureuses les unes que les autres : en saumure, mariné, fumé ; en sauces : aigre-douce ou épicée ou à la crème fraîche ou à l’aneth, ou au curry, ou au madère, au céleri ou à la cerise, etc. Une bonne maîtresse de maison invente ses recettes qu’elle partage avec ses amis.
Dans les restaurants, à l’heure du déjeuner, le filet de hareng peut vous être proposé en une bonne quinzaine de préparations. Les chefs d’aujourd’hui créent leur façon de l’accommoder, à condition qu’il soit moelleux à souhait. L’imagination fait le reste.
Le pain noir ou le « rugbrod »
C’est un pain qui possède une forte valeur nutritive, bien supérieure à celle du pain blanc, car composé de farine de seigle complète, malaxée avec un mélange de bière, de levain, et de mélasse qui lui donnent sa couleur brun foncé et son goût légèrement sucré. Les recettes du pain noir varient d’une région à l’autre car on y ajoute parfois des grains de seigle concassés ou des graines de lin. Le seigle étant une céréale riche
en calcium, potassium, fer, fluor et fibres, il procure la satiété rapidement.
A la fin du XIXè siècle, quand les ouvriers et les employés ne rentrèrent plus chez eux déjeuner pour cause de journée continue, ils apportèrent leur lunch-box sur leur lieu de travail remplie de smorrebrods garnis de poisson, d’œufs, de crevettes, de poulet ou de porc fumé. Progressivement, pour varier les saveurs, ils imaginèrent toutes sortes de combinaisons, même celles réservées à Noël !
Une Lunch Box classique
Beurre ou saindoux ?
Il est évident que le beurre ne figure pas depuis longtemps dans la composition du smorrebrod. Le beurre fut très longtemps considéré comme un produit de luxe partout en Europe ; les quelques fermiers qui le fabriquaient ne le gardaient pas pour leur consommation mais allaient le vendre sur les marchés ou à domicile aux riches bourgeois.
Affiche danoise du film
Pelle le Conquérant
Comme beaucoup de pays au cours du XIXè siècle, le Danemark connut des périodes de grande pauvreté et ce n’est pas le beurre qui accommodait le pain noir et leur cuisine mais le saindoux « le beurre du peuple ». C’était la matière grasse par excellence, issue du cochon, partout présent dans les campagnes. Le beau film Pelle le Conquérant du cinéaste Bille August nous donne une idée de la dureté de la vie à cette époque de forte émigration. Le romancier Hans Christian Andersen issu d’un milieu d’une extrême pauvreté a longtemps ignoré le beurre.
Détail important, il fallait compter avec la stricte observance des règles de la religion luthérienne qui interdisait de faire gras en dehors des fêtes. Que l’on pense à cet autre film danois remarquable et « savoureux » Le Festin de Babette de Gabriel Axel qui se déroule dans un village pieux et très conservateur, vivant sous la férule d’un pasteur intransigeant.
Décadence et métamorphose
Pendant des années, des générations de Danois citadins se sont détournées du smorrebrod, désintérêt dû en partie à la vague du fast-food américain qui a submergé l’Europe dès la fin des années soixante et des pizzas quotidiennes. Le smorrebrod faillit disparaître sans l’initiative de jeunes chefs danois qui, à la tête de restaurants renommés, le remirent au goût du jour sous un aspect tendance, avec des dressages appétissants, lui donnant une dimension artistique. On a atteint le "hygge" ! L'Art de vivre danois.
Création du restaurant Kronborg
On peut citer Schonnemann qui démarra en 1877 en ne servant que des harengs et de la bière et qui se transforma il y a peu en restaurant gastronomique servant des pyramides de crevettes roses sur le pain noir, ou le Kronborg, véritable institution danoise. Leurs chefs talentueux ont réinventé le smorrebrod pour en faire une oeuvre d’art pour les yeux et le palais, appliquant la belle formule d’Hippolyte Taine : "L’œil est un gourmet comme la bouche ". On vient de loin pour les déguster ou les emporter. A midi ils séduisent les cadres affairés, à la pointe de la mode.
Création du restaurant Aamanns
Création du restaurant Aamanns
Sur la carte de Aamanns, par exemple, figure le smorrebrod au hareng mariné dans une préparation à base de zestes d’orange, d’épices et de xérès, puis déposé sur une compote de citrouille assaisonnée de jus d’orange et de coriandre (photo ci-dessus). Son chef propose une autre création tout aussi singulière : le hareng est mariné dans du jus de betterave, du vinaigre et du raifort ce qui lui confère un goût puissant, puis déposé sur une purée de betterave, de pois et d’oignons, le tout garni de copeaux de raifort (photo ci-contre).
Que boire avec les smorrebrods ?
Un verre de Carlsberg Elephant
bien fraîche
La plus ancienne tradition veut qu’on les accompagne d’aquavit, cette eau de vie de grain aromatisée aux herbes, servie frappée et que l’on avale cul sec. Mais on peut être plus raisonnable en se délectant d’une Carlsberg ou d’une Tuborg bien fraîches, deux marques de bières réputées dans le monde entier, fleurons de l’économie danoise*
La Carlsberg Elephant est couleur blond cuivré, elle est charpentée et son amertume est affirmée. Tandis que la Carlsberg Ice est blond clair, son amertume est légère, elle est typique des bières blondes peu denses de Scandinavie, et n’a rien de comparable avec la cervoise consommée par les Vikings !
Delphine d’Alleur - 2018
*A consommer avec modération
Iconographie
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Visitdenmark.com
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Denmark.dk
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Aamanns.dk
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Wikimedia commons
Références
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Journaldesfemmes.fr
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Les bières du monde de Jean-François Dormoy – éditions Soline
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Letourdumondeen80pains.com
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Remerciements aux restaurants Aamanns et Kronborg de Copenhague
Transport traditionnel de la Carlsberg par des chevaux du Jutland