top of page
Portugal, le Joyau de Coimbra
Coimbra-La Joanina-deambulationseuropeenness

Succession des salles de la Joanina, séparées par des arches ornementées - bibliothèque de l'Université de Coimbra

   "La vie, ce n’est pas seulement respirer, c’est aussi avoir le souffle coupé." Alfred Hitchcock

Visiter le Portugal, sans se rendre à Coimbra, c’est comme dîner chez un chef étoilé et dédaigner ses délicats desserts. Car cette ville très ancienne vit la fondation de la première université portugaise en 1290. Et qui dit université dit nécessairement bibliothèque. C’est justement de sa bibliothèque que je vais vous entretenir, en quelque sorte “dessert” de mon voyage au Portugal, il y a une vingtaine d’années.

Prestige et respectabilité, quelques mots sur la ville

 

Coimbra fut, au Moyen Age, la cité la plus importante au sud du Douro, fleuve qui prend sa source en Espagne dans la cordillère ibérique et serpente à travers la Meseta pendant 570 km. Puis sur une centaine de km, il constitue la frontière entre l'Espagne et le Portugal dans une région de toute beauté, ses berges ayant été consacrées Parc naturel du Douro. Il redevient totalement portugais jusqu'à l'Atlantique. Sa région très ensoleillée est couverte des vignobles producteurs de porto - délicieux vin doux, mondialement réputé - inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO. Coimbra, quant à elle, est située plus bas, sur les rives du Mondego, fleuve plein de charme qui prend naissance dans la Serra da Estrela et file se jeter dans l'océan. Par son site parsemé d’endroits remarquables, son climat, son architecture, son pittoresque, sa prestigieuse histoire et son rayonnement culturel, Coimbra rassemble toutes les faveurs divines.

Coimbra-L'Alcaçova-deambulationseuropeennes

Vue nocturne de la colline de l'Alcaçova couronnée par la vénérable université

Posés sur un mamelon, l'Alcaçova, ses quartiers anciens auxquels on accède par des ruelles étroites et sinueuses, entrecoupées d'escaliers très escarpés, constituent la cité haute d’autrefois, dite Alta. Y vivaient au XIIè siècle les aristocrates, le clergé et, plus tard, les étudiants. Dans la cité basse, dite Baixa, se déployaient les quartiers de  négociants,  artisans,  mariniers et le peuple des petits métiers.

La colline de l’érudition

Après la reprise de la cité aux Maures en 1064, qui l'occupaient depuis le VIIIè siècle, et grâce au roi espagnol Ferdinando 1er de León et Castille, Coimbra renaît progressivement jusqu’à devenir la capitale d'un comté gouverné par un Mozarabe*. Mais c’est le roi Afonso Henriques 1er de Portugal qui en fait plus tard la première capitale du pays après la ville de Guimarães très importante dans la formation du Portugal et de son identité. Afonso Henriques habite le château d'Alcaçova et Coimbra restera capitale jusqu'en 1260 quand Lisbonne, ville antique occupant une position stratégique sur la mer, la détrônera. C’est à Lisbonne qu’est signé en mars 1290 par le roi Dinis 1er de Portugal, Père de la Patrie, le document fondateur de l'université, confirmé par le Pape la même année. Elle va compter parmi les plus anciennes d'Europe, avec la Sorbonne à Paris (1200), celle de Bologne en Italie en 1088 considérée comme la plus ancienne université du monde occidental, celles d’Oxford en 1167 et de Cambridge en 1209 et, en 1218, celle de Salamanque en Espagne. 

Dinis 1er s’installe en 1308 à Coimbra, ancienne capitale royale jouissant d’un prestige certain. Et c’est après plusieurs allers-retours à Lisbonne au cours du XIVe siècle. que l’université s'installe définitivement à Coimbra dans l’ancien palais royal en 1537 par la volonté du roi Joao III, au coeur d’un admirable patrimoine religieux, déjà riche d’une longue tradition d'éducation et de savoir. Le Paço das Escolas ou "Palais des Écoles" rassemble quelques-uns des bâtiments les plus emblématiques de l’université. Le roi entend y faire entrer les idées novatrices qui se répandent en Europe. Il nomme ainsi le célèbre théologien et pédagogue, André de Gouveia, principal du Collège des Arts,** qui prépare à l’université de Coimbra. Ce dernier quitte la France où il enseignait à Sainte-Barbe, emmène ses meilleurs collaborateurs et attire des professeurs de théologie, mathématiques, droit et hellénisme. Lettrés et savants, ils vont contribuer à développer le contenu de la bibliothèque.

L’histoire de Coimbra désormais s'assimile à l’histoire et à l'essor de son université, l'autre phare intellectuel de la péninsule ibérique.

"J’avais trouvé ma religion : rien ne me parut plus important qu’un livre. La bibliothèque, j’y voyais un temple" 

Jean-Paul Sartre ***

La bibliothèque - Ce n’est que 180 ans plus tard que cet exceptionnel trésor, dénommé jusque-là Casa da Livraria Universitária, va trouver un écrin digne de lui. En effet, en 1716, le recteur de l'université avait demandé au roi Joao V de simples améliorations à la bibliothèque universitaire afin d'y stocker les  livres de théologie, de philosophie et de droit récemment acquis. Le roi João V (1689-1750), dit Le Magnanime, qui a instauré un régime absolutiste et une munificence sur les modèles de ceux de Louis XIV, voit là une occasion d’élaborer une oeuvre audacieuse ; il souhaite que la nouvelle bibliothèque représente l’opulence et la puissance du royaume portugais, aussi bien matériellement qu'intellectuellement et culturellement. Autrement dit, un inégalable outil de communication et de glorification.

Coimbra-l'Universite-deambulationseuropeennes

Etudiants en tenue posant sur le perron de l'entrée  de l'université. A gauche, la tour de l'horloge du XVIIIè s. dont la cloche rythme la vie estudiantine, car "Il ne peut y avoir bon ordre sans horloge".

L’or, issu du Brésil  -  de la région qui prit le nom de Minas Gerais - dont il perçoit le cinquième des revenus, lui en donne les moyens financiers - et les diamants plus tard en 1729 - et son immense empire colonial les moyens matériels, psychologiques, diplomatiques et logistiques. Entouré d’érudits parmi les plus brillants de leur temps, de deux architectes chargés d’ étudier les plus importantes bibliothèques d’Europe, d'un remarquable maître d’œuvre, João Carvalho Ferreira, qui recrute menuisiers, fresquistes, doreurs, vitriers, sculpteurs, marqueteurs, ébénistes, marbriers et praticiens de la conservation des ouvrages précieux, des délicates structures et du mobilier. Tous portugais. Joao ordonne donc sa construction. Son ambition et son intelligence le poussent à faire rayonner le Portugal dans son époque la plus faste de son histoire comme Louis le Grand le fit pendant son règne. Ce sera La Joanina.

Coimbra-La Joanina-deambulationseuropeennes

Vue de la Joanina avec son portique aux colonnes ioniques de marbre, surmontées de l'Escudo Real portant les armoiries de Joao V et les mots "Les livres sont si hautement loués ici qu'une bibliothèque couronne la tête de la ville ".

L'érection de la bibliothèque -  assise sur une ancienne geôle qui devint plus tard "prison académique" réservée aux étudiants turbulents - va débuter en 1717 et s’achever en 1728, dotée de l’aspect extérieur d’un monument sacré très simple et à l’intérieur d’un plan de temple grec. En effet, ce dernier comportait 3 salles très hautes : le pronaos (vestibule), le naos (sanctuaire) et l’opisthodome (salle du trésor interdite aux non initiés). Ici, c’est la troisième salle qui est magnifiée par le portrait en majesté du roi émergeant d'un rideau de scène en chêne sculpté recouvert d'or ; le tableau, étant solennisé par deux anges trompettant, prend la place de la statue du dieu et est visible d'où qu'on soit.

Parcourir les trois salles équivaut à emprunter une voie sacrée, au coeur d' un décor onirique et... poétique !

Joao V jeune/deambulationseuropeennes

Remarquable portrait de Joao V âgé d'environ 20 ans par le peintre italien Pompeo Batoni

Parenthèse sur la portée universelle du chiffre Trois :  le Trois, considéré comme parfait depuis l'antiquité car illustrant l'équilibre, évoque non seulement le passé, le présent et le futur mais aussi la naissance, la vie et la mort. Et pour beaucoup  le corps, l'âme et l'esprit. Dans la religion chrétienne, la Trinité occupe une place prépondérante et les vertus cardinales sont la Foi, l’Espérance et la Charité. En matière d’épopées littéraires, souvent le héros doit accomplir trois épreuves lors de son chemin initiatique. Dans les religions premières d'Amérique latine, les "mondes sacrés" sont le Soleil, la Terre et le monde souterrain. En Franc-Maçonnerie, le 3 possède une haute valeur ésotérique, unissant la Sagesse, la Beauté et la Force. Dans le tarot le 3 exprime le processus créatif menant à la croissance, mais aussi la blessure opposée à la résilience : le 3 de pentacles c'est  la reconnaissance de la part de ses pairs.  Il existe bien d'autres exemples.

On peut supposer que le jeune Joao V qui reçut une éducation rigoureuse et stimulante, qui subit la forte influence des pères jésuites, puis plus tard fut formé en politique par l’éminent diplomate portugais Luís da Cunha, avait été sensibilisé à la Symbolique. Celle des chiffres et des nombres, à cette époque, possédait un impact certain sur les esprits éduqués. On va la retrouver dans les éléments de structure et de décor de La Joanina.

On a doté le bâtiment de murs de plus de 2 m d'épaisseur afin de contrer les effets des différences de température et d’hygrométrie. Tout a été pensé pour protéger au plus haut degré les précieux livres, incunables, manuscrits, oeuvres d'art, meubles et peintures fragiles. D'abord la porte d'entrée du bâtiment. Elle est en teck, bois provenant des colonies du sud-est asiatique, imputrescible, à la texture lisse insensible à la pluie. Tout ceci permet de maintenir la température à l'intérieur du bâtiment entre 18 et 20°. Elle est surmontée d'une sentence latine qui encourage “à utiliser les livres comme des armes permettant d'atteindre le savoir” (Cocasse de la part d'un des premiers pays colonisateurs !). Ensuite les rayonnages et les boiseries  : ils sont en chêne massif brésilien, similaire au chêne rouge d'Amérique du Nord, mais plus dur, résistant à l'air marin et aux insectes. Sa couleur varie du brun clair au brun doré. Son odeur est un répulsif contre les vers.

Et, protection supplémentaire astucieuse, la nuit, après la fermeture des lieux, une colonie de charmantes auxiliaires, de toutes petites chauves-souris, contribue à la sauvegarde des ouvrages en se régalant des insectes bibliophages comme les poux des livres et les terribles vrillettes. Les tables de lecture aux bois délicats sont recouvertes de nappes de cuir protectrices ! Tout l’espace fonctionne donc comme une véritable chambre forte autonome, ceci depuis des siècles.

Domenico-Dupra-Joao V-deambulationseuropeennes

Portrait en pied de Joao V parachevant la 3è chambre, par Domenico Duprà  peintre italien  

Hymne à la Pensée, à l' Art, au Génie et ... à l'Empire colonial

coimbra-La Joanina-deambulationseuropeennes

Vue partielle de la chambre rouge et or

Pénétrer dans la bibliothèque c’est ressentir d’emblée  une  masse de vibrations puissantes, difficilement explicables, tant on baigne dans une profusion de concepts et de messages émanant de cette oeuvre  d’art total. Eblouissante. Bouillonnante.   L'atmosphère indicible qui se dégage de cet espace de 1250m2 à la gloire du partage du savoir est si prenante qu’on est littéralement happé, transporté dans l’univers du baroque sans doute le plus créatif, le plus sophistiqué et le plus exubérant, celui du tournant des XVIIe et  XVIIIe siècles. De surcroît, on a affaire à un condensé de défis techniques et artistiques et certainement ésotériques.

Cet endroit est en quelque sorte un récit historique et artistique, doté d'une idée maîtresse : la Beauté. Aucun élément de ce trésor inestimable n’est laissé à l'improvisation, mais conçu et créé en fonction de la volonté, du goût et de la position du roi -  la scénographie est très narcissique - maître d’un étonnant et richissime empire colonial fondé par ses ancêtres en 1415. Début de la période des grandes découvertes maritimes par les Européens.

Opulence et territoires lointains

Le Portugal, petit pays d’ environ 2 millions d’habitants vers 1700, possède à cette date des colonies et des comptoirs sur Trois continents, situation brillantissime au regard des grands colonisateurs comme les Provinces Unies des Pays-Bas, l’Espagne, la France ou le Royaume-Uni. Pour bien comprendre ce que Joao V a pu “moissonner” sur ces continents pendant son règne, je rappelle les conquêtes de ses prédécesseurs sur les océans, initiées par Henri le Navigateur (1394-1460).

D’abord, les côtes d'Afrique  par Madère en 1418 et les Açores en 1427. Entre 1460 et 1493, le Cap Vert est atteint, puis Sao Tomé, puis l'Equateur, l’embouchure du Congo, le golfe de Guinée, enfin le Cap de Bonne-Espérance.  L’intrépide Vasco de Gama  débarque sur la côte de Malabar (Indes) en 1498. Simultanément, Pedro Alvarez Cabral découvre le Brésil en 1500 - longue frange côtière verte s’étendant de l'Amazone au Río de la Plata. C’est en 1519 que Magellan découvre l'extrémité sud de l'Amérique et la Terre de Feu.

V. de Gama-deambulationseuropeennes

Le navigateur Vasco de Gama

Carte_du_Brésil_de_1519/deambulationseuropeennes

Carte du Brésil établie en 1519, tirée de

l'Atlas nautique portugais

A l'est du Cap de Bonne-Espérance, les Portugais établissent les comptoirs du Mozambique, de Madagascar, d’Ormuz  et vont fonder en direction des Indes orientales une série d’enclaves marchandes très lucratives.

Au sud des Indes, ils débarquent à Ceylan en 1505 puis, à l'est, au sud de la Malaisie , enfin ils atteignent  Macao en 1516, devenue leur possession 40 ans plus tard, un des plus pérennes établissements occidentaux en Extrême-Orient, rétrocédé à la Chine en... 1999. De 1520 à 1580, ils conquièrent l’actuel Angola sur la côte sud d'Afrique, riche en diamant,  fer, cuivre et ... futurs esclaves. En 1560, l'Empire portugais est en forte croissance. Outre le Brésil, il comprend un chapelet d'établissements jalonnant la fameuse Route des Indes. La présence portugaise hors d'Europe va durer presque six siècles. Pour parler librement, Joao V pouvait - tout au long de son long règne qui débuta en 1706 et dura 43 ans - “se servir” en richesses locales et ... en êtres humains asservis.

Immersion dans un baroque théâtral et raffiné

La conception des trois magnifiques chambres de La Joanina va symboliser logiquement la conquête glorieuse et l'exploitation des continents lointains, représentés par les couleurs noir et or pour l’Afrique, vert et or pour le Brésil et rouge et or pour les contrées de l’Océan Indien. Sublimées par la figure du roi, grand mécène de l'histoire portugaise.

Biblioteca-Joanina-deambulationseuropeennes

Vue d'ensemble de la chambre vert et or, du mobilier et des rayonnages au niveau en mezzanine

Précision sur les codes couleurs contemporains lus dans une étude de 2017****

Si le noir peut révéler à la fois l’austérité, la rigueur et la mélancolie, il est bien souvent associé à l’élégance et au raffinement. Pour ce qui est du vert foncé, il tend à évoquer  l'abondance et le luxe mais aussi la créativité et l'harmonie. 

Quant au rouge soutenu, c’est la teinte qui d’un point de vue symbolique renvoie à la force et au dynamisme. C’est une couleur chaude représentant la convivialité. 

Des salles de théâtre aux fauteuils et rideaux rouges émane un pouvoir énergisant qui stimule la concentration. Egalement, le rouge est depuis longtemps lié aux honneurs et au prestige, voire au pouvoir. Qu'on pense au privilège conféré par le tapis rouge ! Ce n'est pas un hasard si, sur le royal tableau , la table est recouverte d'un tapis rouge ! On prétend aussi que c’est la couleur de la science et de la connaissance hermétique. Dans un temple de la protection et de la transmission, dont la vocation est de sauvegarder le patrimoine culturel, intellectuel et scientifique écrit de l'humanité, une telle couleur est porteuse de sociabilité et de convergence d'idées.

Ces trois couleurs donnent vie aux nombreuses décorations à la feuille d'or et aux marqueteries et sculptures des meubles. Le maître d'oeuvre de cette merveille qu'est La Joanina avait-il la prescience de tout cela ?  

J’ai mis en valeur, sur la photo d’introduction, la succession des arches de faux marbre. Celles-ci ont des allures d’arcs de triomphe, extrêmement travaillés. Elles sont en chêne peint, délicatement veiné. Le vrai marbre risquait de conserver l'humidité car c’est une pierre calcaire, donc poreuse. Dommage, car le Portugal possède des carrières de marbres magnifiques en qualité et coloris, qu'il est passionnant de visiter quand on en prend le temps.

Avec les corniches ouvragées et ondoyantes qui courent tout autour des salles, on a là un travail typiquement baroque : majesté des proportions et des volumes, chambranles aux courbes élégantes en bois polychromes, foisonnement de détails, application de chutes de fruits, de fleurs et de feuilles en guirlandes, de rubans, de rostres, de boucliers, d’écussons avec armoiries des anciens collèges de l'université surmontés d'une couronne. On a un ensemble très chargé, détaillé, sans vide et particulièrement fastueux. L’éclat des bois et des bronzes dorés crée une multiplicité d'images chatoyantes, de couleurs, de reliefs, de contrastes de lumières et d'ombres pour intensifier la sensation d'abondance voire de plénitude.

Bref rappel : l’art baroque avait pour but de transmettre  une  expression ornementale  dynamique, parfois débridée et exubérante, au sortir de périodes austères, voire rigoristes. (Il en fut de même en musique). On y a eu recours principalement  pour décorer des édifices religieux, des palais et des espaces prestigieux avec des moyens conséquents. Il fallait surprendre, émouvoir les fidèles et les visiteurs et insuffler une  énergie nouvelle et optimiste, avec éclat. Dans La Joanina, en outre, il démontre puissamment la suprématie portugaise sur des territoires lointains rentables. Avec beaucoup de cohérence, d'harmonie et ... de joie.

Decor-Joanina-deambulationseuropeennes

Panneau au style décoratif chinois avec personnages et oiseaux

Décor-vert-Joanina-deambulationseuropennes

Piliers en bois en pyramides renversées appuyées sur des socles à décor de palmes 

Interieur Joanina-deambulationseuropeennes

Détail des ornements des arches, corniches et couronnements des rayonnages

Décor-Joanina-deambulationseuropeennes

Corbeilles de fruits et de roses ponctuant les rebords des balustrades du premier niveau

Tous les murs sont tapissés de solides lambris et rayonnages en bois tropicaux, composés de deux corps séparés par des balustrades ouvragées, lesquelles sont soutenues par des piliers imitant de longues pyramides renversées, surmontées de volutes dorées. Véritable prouesse technique que l'on retrouve à la Bibliothèque Nationale Autrichienne à Vienne. De surcroît, certains panneaux décoratifs reproduisent des motifs de laques chinois, réalisés par des peintres portugais, mais sans le procédé du laque, gardé secret à cette époque. Tout cela procure au visiteur un goût d'exotisme et une invitation au voyage et à la rêverie.

Les monumentales et précieuses tables de lecture,  objets d'art à part entière, ont été réalisées avec des essences de bois exotiques aux coloris chauds avec applications de bronze doré et possèdent chacune un plateau en marqueterie de toute beauté. Les marqueteries offrent des combinaisons de bois de jacaranda et d’acajou du Brésil, d’ébène d’Afrique ou de bois de rose de Ceylan, d’ivoire ou de nacre. Leurs entretoises aux formes sinueuses très élaborées sont stupéfiantes  de  virtuosité.

Toutes les tables sont différentes.

Table-LaJoanina/deambulationseuropeennes

Une des tables de lecture dans la chambre vert et or

Les plafonds de la Sagesse Divine

A cette  virtuosité, s’ajoutent naturellement deux autres caractéristiques du style baroque - “vent d’audace et de liberté et grand essor de l'imaginaire“ comme l'écrivit joliment Victor-L. Tapié,***** historien du baroque - l’ évocation d’ effets illusionnistes subtils au moyen du trompe-l’œil et l’utilisation d’allégories, ici pour les plafonds. D’abord il convient de donner l'illusion d'une plus grande hauteur que celle de la pièce et plus de relief aux personnages et aux objets. Ensuite créer une l’allégorie, c'est-à-dire une signification morale ou spirituelle comme la vie, la mort, l'amour, la vertu, la justice, la sagesse ou la connaissance. 

Plafond-La Joanina-deambulationseuropeennes

Allégorie de la Bibliothèque entourée de colonnes, guirlandes et angelots - motif central

Ce sont deux artistes italianisants de Lisbonne qui ont conçu et peint les plafonds. Extrêmement colorés et fourmillant de détails délicats, ils présentent, sous la houlette de  la “Sapientia Divina” (Sagesse Divine) les trois concepts du pôle universitaire de Coimbra : l'Université (enseignement supérieur public), l'Encyclopédie (présentation des connaissances dans tous les domaines explorés) et  la Bibliothèque (protection et transmission de ces connaissances).

Le plafond montré ici  représente, dans un cadre paisible, l’allégorie de la Bibliothèque : la Sagesse prenant de la main gauche un livre remis par un angelot et transmettant de sa main droite un livre ouvert à un autre angelot.

Les Trésors de l’esprit 

Livres-LaJoanina-deambulationseuropeennes

Rayonnages et livres anciens dans la chambre noir et or 

Tout ce qui a été décrit plus haut donne une idée de grande recherche esthétique et de légèreté combinées, malgré le nombre d’ouvrages et de documents inestimables présents, soit presque 30 000 volumes. (30 000 autres sont stockés dans les archives ou dans la salle d’études annexe se trouvant sous les fameuses Trois chambres, à l’emplacement de la geôle.) Ils datent du XVè jusqu’à la fin du XVIIIè siècle et couvrent presque tous les domaines du savoir humain d’alors : philosophie, théologie, droit civil et canonique, histoire, médecine ou encore sciences naturelles et géographie. ******

On a aussi des œuvres de grands voyageurs consacrées au Moyen-Orient comme la Terre Sainte et l’Anatolie, de même qu’à l’empire Assyrien, à l’Arabie, à la Perse jusqu’à la Mongolie, avec cartes, descriptions des villes et des coutumes. Conservés dans des coffres, figurent également de très nombreux parchemins et incunables ainsi que plusieurs bibles dont la Bible d’Abravanel dite Hébraïque, manuscrite - de la seconde moitié du XVe siècle - témoignage capital du judaïsme au Portugal. La plus ancienne bible date de 1140, époque de Don Afonso Henriques 1er roi du Portugal. Autre bible, la Bible Latine (Vulgate) des 48 lignes - car 48 lignes par page - imprimée en 1462 par deux associés de Gutenberg et considérée comme la plus belle des premières bibles imprimées.

Salle-lecture-Joanina-deambulationseuropeennes

Salles de lecture et de recherches aménagées dans les anciennes geôles

Il faut, bien sûr, mentionner des exemplaires d'une extrême rareté de la première édition de “Os Lusíadas” (Les Lusiades), célèbre  poème épique en plusieurs chants du très aimé poète Luís de Camões (vers 1525-1580 à Lisbonne), achevé en 1556 mais publié en 1572, trois ans après son retour de Goa aux Indes. Il célèbre les exploits maritimes et guerriers du Portugal et est  considéré comme l’œuvre la plus importante du patrimoine littéraire portugais.

De nombreux autres ouvrages ont été transférés à la nouvelle bibliothèque ouverte en 1956. La collection complète actuelle de la  Bibliothèque Générale (Biblioteca Geral) est évaluée à plus de 200 000 volumes. Elle a figuré parmi les premières bibliothèques d'Europe à proposer des catalogues par matière, dès 1743, et s'est toujours opposée à la censure pendant les périodes les plus sombres du pays. La Joanina est considérée comme l'une des plus belles bibliothèques publiques du monde. Peut-être parce qu'elle illustre suprêmement l'alliance de "l'avoir et du devoir".

Le-Poète-Camões-deambulationseuropeennes

Luís Vaz de Camões par le peintre Fernão Gomes, vers 1577

En juin 2013, c’est toute l'Université de Coimbra qui fut classée au Patrimoine mondial par l'UNESCO pour sa “valeur architecturale, culturelle et humaine, ayant été pendant plusieurs siècles l'unique université portugaise.”Elle est une référence pour les autres établissements d’enseignement supérieur dans le monde lusophone où elle a également exercé une influence majeure dans la diffusion du savoir et de la littérature.”

Sérène Waroux - 2024

Notes

  • * Espagnol chrétien qui avait le droit de pratiquer sa religion au temps de l'occupation arabe.

  • ** L’acception ancienne des Arts est  la recherche de la connaissance et d’idées nouvelles. On distinguait les arts libéraux, activités intellectuelles libres des contraintes liées à la matière, des arts mécaniques où interviennent la main et les matériaux.

  • ***  Jean-Paul Sartre - Les Mots - NRF - 1964

  • **** Quelle place pour la couleur en bibliothèque ? par Hélène Valloteau - 2017

  • ***** Victor-Lucien Tapié (1900-1974) universitaire, historien et écrivain 

  • ****** Grâce à un émirat qui mise depuis des années sur les arts et le patrimoine pour se démarquer sur la scène internationale, la bibliothèque de l’université de Coimbra en numérise 30 000 - Courrier International depuis février 2024 

Références

bottom of page