Vita et Harold, un Couple Peu Banal
Cette magnifique photo, représentant de gauche à droite, Harold, Vita, Rosamund Grosvenor - une de ses amantes - et Lionel, 3ème baron Sackville, père de Vita et propriétaire de Knole House, est emblématique du glamour et de l'assurance tranquille affichés par l'aristocratie anglaise des années 1920.
Vita Sackville-West, une amazone talentueuse (1892 - 1962)
Aristocrate, voyageuse, mondaine, écrivaine prolifique depuis son plus jeune âge : poèmes, romans, biographies, pièces de théâtre à caractère historique, essais, conseils de jardinage, elle a abordé tous les genres y compris le journal intime sans compter sa correspondance qui fut abondante. « Mère m’a grondée ce matin, parce qu’elle trouve que j’écris trop, et Dada (Père) lui a dit qu’il n’approuve pas cette activité… Mère ne sait à quel point j’aime écrire » se confia-t-elle dans son journal intime.
Portrait de Vita par William Strang
« En un peu plus de quatre ans, entre 1906 et 1910, elle écrivit huit romans et quatre pièces de théâtre (…) elle trouvait des sujets tout prêts dans l’histoire de Knole et des Sackville » relata son fils Nigel dans Portrait d’un mariage. Issue des nobles et antiques familles des Sackville et des de La Warr, habitant l’immense domaine séculaire de Knole House, dans le Kent, Vita vécut là une enfance de sauvageonne gâtée, aimant profondément la vieille demeure où elle jouait à se perdre ainsi que la campagne et les bois environnants avec leurs aventures solitaires qui nourrissaient sa créativité. Elle possédait un caractère imprévisible et excentrique hérité de son grand-père Lionel Sackville, anticonformiste notoire, qui avait aimé une danseuse espagnole, familièrement appelée Pépita, et lui avait donné cinq enfants, tous élevés à Knole. Celle-ci fut « titrée » Lady Sackville sans qu’aucun mariage n’ait été célébré.
Il finit par l’avouer peu avant sa mort ! L’une de ses filles – Victoria, la mère de Vita – était tout aussi libre d’esprit et rebelle et « remorqua après elle soupirants et amants » – riches et célèbres, dont le richissime Astor, ainsi que John Murray Scott, fils adoptif du collectionneur réputé Richard Wallace et même le sculpteur Rodin, tout au long de sa vie ! Vita avait donc de qui tenir. Nigel dira de celle-ci qu’elle était à la fois « gitane et grande dame » mais qui tenait à son rang car elle fuyait la classe moyenne montante.
Rien d’étonnant à ce qu’elle se soit comportée comme une conquérante, dans sa vie sociale et artistique comme dans sa vie amoureuse, reconnaissant parfois son « manque de délicatesse. » mais possédant un indéniable magnétisme.
Château de Knole House à Sevenoaks - Kent
Portrait de Violet Tréfusis par William Bruce Ranken 1919
Sa première passion
Certes entre deux très jeunes femmes - qui eut un fort retentissement dans le milieu corseté de l’aristocratie, fut pour la poétesse Violet Tréfusis, fille d’Alice Keppel, la célèbre maîtresse du prince de Galles, et avec laquelle elle échangea de nombreuses lettres enflammées, laissant leurs gentlemen de maris aussi déconcertés l’un que l’autre. Car pendant ces années d’amours tendres ou orageuses, elles s’étaient mariées. Vita par inclination pour Harold, Violet par convenance qui n’admit jamais de devoir renoncer à Vita. Ne lui fit-elle pas cet aveu, d’une puissance poétique percutante : « Je vous aime Vita, parce que j’ai vu votre âme. » ? Sa correspondance est un long cri. Les lettres de Vita furent détruites par la belle-famille de Violet.
Les romans de Vita les plus connus sont La traversée amoureuse, Infidélités Toute passion abolie qui fut portée à l’écran, Au temps du Roi Edouard, Plus jamais d’invités ou Haute Société, dans lesquels elle porte un regard aiguisé et parfois caustique sur ses contemporains. Dans Le diable à Westease, elle s’essaie au roman policier. Dans sa biographie Pépita elle évoque son inénarrable grand-mère espagnole Les voyages qu’elle effectue avec son mari lui inspirent plusieurs récits ainsi que des nouvelles: En 1931, elle publie une traduction, en collaboration avec son talentueux cousin Edward Sackville-West, des Élégies de Duino du poète Rainer Maria Rilke. Ses pièces de théâtre quant à elles ne sont pas restées dans les annales.
Sa rencontre avec la romancière Virginia Woolf, épouse de Leonard Woolf éditeur de Vita et d’Harold, et tous les deux à l’origine du groupe de Bloomsbury, marqua un tournant dans sa vie affective et littéraire. Son attirance pour la romancière – d’abord faite d’affinités communes plus que physiques - se mua en une liaison ardente avec crises de jalousie et réconciliations et donna lieu à une copieuse correspondance pendant dix-huit ans. Ainsi qu’à un étrange roman : Orlando. En 1928 Virginia Woolf inspirée par la vie de Vita crée une pseudo-biographie dans laquelle le héros traverse les siècles et change de genre. Nigel lui attribua le qualificatif de
« la plus longue et (la) plus charmante lettre d'amour de la littérature. (…) une messe commémorative ». Leur attachement mutuel, culturel et littéraire, se prolongea jusqu’à la mort tragique de Virginia.
Photo de Virginia Woolf
par G.Ch. Beresford
Rien d’étonnant donc que l’immense friche de Sissinghurst parée de ses ruines gothico-romantiques aient séduit cette femme hors du commun, comme une immense page vierge sur laquelle il y avait tout à écrire. Pour le découvrir, reportez-vous à la rubrique Rencontrez. Vita possédait un irrépressible besoin de faire fructifier son imagination ; elle sut la canaliser au contact rassurant de la terre et… d’Harold, son pilier.
Mémoires de Harold Nicolson
- Ed. Grasset
Harold Nicolson, le diplomate (1886-1968)
« C’est une personne très sauvage que vous allez épouser. » prévient Vita qui se considérait comme « suprêmement inépousable », quelques mois avant leur mariage en 1913. Issu d’un milieu aristocratique de diplomates, élevé dans les meilleurs collèges, Harold Nicolson avait une personnalité opposée à celle de Vita., Ils n’étaient pas voués à se rencontrer. « mais je l’aimais plus que tout, comme un compagnon et un camarade de jeu ainsi que pour son intelligence et son délicieux caractère. » dira-t-elle dans son journal. Bisexuel lui aussi et très dévoué, il ne lui faisait pas d’ombre !
Lord Curzon of Kedleston
Diplomate comme son père, il travailla durant la Première Guerre mondiale au Foreign Office et participa à la Conférence de la Paix à Paris en 1919 dont il rédigea le compte-rendu. Puis il devint le secrétaire particulier de Lord Curzon, secrétaire aux Affaires Etrangères après avoir été vice-roi des Indes, Bien que très pris par sa carrière diplomatique, il prit le temps d’écrire des biographies comme celles de Tennyson, Verlaine, Swinburne et Lord Byron. Il occupa des postes à Madrid, Téhéran et Berlin puis, en 1929, il quitta la diplomatie pour se consacrer à l’écriture. Ainsi il se fit historien, essayiste et chroniqueur de presse. Pendant la Seconde Guerre mondiale. Churchill le nomma sous-secrétaire d’Etat à l’Information. Puis il entra en politique qu’il abandonna rapidement pour revenir à la littérature et devenir un auteur prolifique .Il rédigea une vie de George V qui lui valut d’être anobli. Il laissa un important journal qui fait encore référence, traduit en français sous le titre de Journal des années tragiques 1936-1968. Parallèlement il se consacra à l’élaboration du jardin de Sissinghurst.
Portrait de Ch. Swinburne par Dante Gabriel Rossetti
Le roi George V
No Signposts in the Sea - dernier roman de Vita - Ed. Michaël Joseph
Vita et Harold formèrent un couple caractéristique de la nouvelle génération d’aristocrates anglais, modernes, sans idées préconçues, actifs et mondains à la fois, car tout en menant une vie sociale brillante, ils travaillèrent beaucoup et « gagnèrent leur vie ». Contrairement à de nombreuses familles d’aristocrates qui refusèrent longtemps de dévoiler leurs domaines privés au grand public, ils eurent à cœur d’ouvrir leur propriété de Sissinghurst dès 1938. Car si « elle attachait une importance exagérée à la naissance et à la fortune, elle considérait l’aristocratie comme très proche des travailleurs ruraux » commente Nigel. Ils écrivirent jusqu’à la fin de leur vie. Le dernier roman de Vita No signposts in the sea parut en 1961. Elle décéda un an plus tard.
Portrait d'un Mariage Ed.itions Stock
Delphine d'Alleur - 2019
Références
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Portrait d’un mariage – Nigel Nicolson – Editions Stock - 1992
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John Simkin pour Spartacus-educational.com
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Violet Tréfusis – Lettres à Vita – Editions Stock – 2001
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The letters of Vita Sackville-West and Harold Nicolson 1910-1962 Editions Nigel Nicolson –1992
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Photos Wikimedia Commons