Ils firent la Grande Epoque de Bath
La Maison de jeu - gravure colorée d'après un tableau
de William Hogarth - 1734
Une Conversation à Minuit - gravure colorée d'après un tableau
de William Hogarth - 1732
Une Rue à Midi - détail de gravure colorée d'après William Hogarth 1738
"Nous pouvons dire que c’est le lieu de villégiature du bruit et des malades et un endroit qui aide les oisifs et les bons vivants à commettre le pire des meurtres :
tuer le temps !"
Daniel Defoe
Un personnage hors du commun va y mettre bon ordre, Richard Nash (1674 - 1761), le nouveau Master of the Ceremonies que l’on surnomma Beau Nash - pour son dandysme et non sa beauté - qui prit vite conscience qu'il possédait un style et des manières qui focalisaient l’intérêt des gens.
Arbitre de la mode, il fut dit que son célèbre tricorne blanc, orné de bijoux ”a reçu plus de respect que beaucoup de généraux”.
Sans complexe aucun, il dicta ses propres usages à une société disparate de curistes, joueurs et curieux, donnant ainsi une impulsion qui favorisa un renouveau social, culturel et économique bienvenu. Le résultat fut la création - à l’exemple des Quatre plus Méritants - d'une ville qui reçut les personnalités marquantes issues de tous milieux : princier, aristocratique, politique, artistique et d’affaires. Au moment où John Wood et ses confrères créaient la ville nouvelle, hors des vieux styles baroque et renaissance.
De 1705, il a 31 ans, jusqu'à sa mort, sa prestation pleine d'idées et surtout son influence connurent les règnes de la reine Anne et des rois George Ier, George II et une partie de celui de George III. Le romancier Oliver Goldsmith, l'auteur de sa 1ère biographie¹ dressa le portrait d'un jeune touche-à-tout qui, après quelques années à Oxford, une tentative dans l’armée puis au barreau et ayant tâté des tables de jeux, s’installa à Bath dans la perspective de gains plus élevés. Ceux-ci devinrent très vite sa principale source de revenus.
Portrait de Beau Nash vieillissant
par William Hoare - avant 1760
National Portrait Gallery Londres
Et, comme il nouait rapidement d'innombrables amitiés avec des gens d'horizons divers, il fit la connaissance du Maître de Cérémonie en place, le capitaine Webster, et en fut vite l'assistant. Après la mort en duel de ce dernier, il fut désigné par le Conseil de la Ville, nouveau Maître de Cérémonie. Activité pour laquelle on déclara qu’“il fit plus que quiconque pour civiliser les manières négligées de l'humanité"! En effet, à l'aise partout, il devint très influent et joua un rôle non négligeable dans la suppression des barrières sociales entre l’aristocratie et les. classes bourgeoises².
Juge du goût, du raffinement et de la courtoisie, y compris dans son apparence, il déclarait, ironique et théâtral : "l'esprit, la flatterie et les beaux vêtements suffisent à débaucher. un couvent ! ". C'est hélas toujours vrai ! Bien qu'il n'y ait plus de couvent, mais... des réseaux sociaux !
Onze règles étaient affichées à l’entrée des Assembly Rooms ; il valait mieux s’y conformer. D’ailleurs, une Assembly n’était-elle pas décrite vers 1720 comme "une réunion déclarée et générale de personnes polies des deux sexes dans un but de conversation, de galanterie, de nouvelles et de jeu" ?
Tribune des musiciens dans la Salle de Bal des Assembly Rooms
Il interdit le port d’épées et de bottes à l’intérieur du bâtiment. Il exigea aussi “qu'aucune dame ne dansât des contredanses dans un cerceau (crinoline) d'aucune sorte et qu’ elle choisît de retirer ses cerceaux assistée par des domestiques appropriées dans un appartement à cet effet”. Important : sur les ordres du médecin-résident soucieux de la santé des curistes et, avec l'accord de Nash, les bals commençaient à 18 h et se clôturaient impérativement à 23 h.
Il bannit toute grossièreté , surtout de la part des aristocrates à l'encontre des hôtes de statut moindre et les dames étaient informées que leur "tenue et leur comportement devaient être au-delà de tout reproche." Ne répétait-il pas que des “dames habillées et se conduisant comme des servantes ne devaient pas être surprises si elles étaient traitées en servantes !”
Au cours de la saison, qui s'étirait d'octobre à juin, deux bals avaient lieu par semaine, ainsi que la programmation d’autres danses, concerts et événements mondains choisis. Bath se trouva ainsi métamorphosé “en une ruche de sociabilité bien réglée”. Mieux, Nash s’impliqua dans la conception et le choix de l'architecte John Wood junior pour la construction des nouvelles et superbes Assembly Rooms - fréquentables sur abonnement - celles que nous visitons aujourd’hui. Egalement, Il utilisa sa popularité pour faire avancer la construction de l'Hôpital des Eaux Minérales (dédié aux maladies rhumatismales), financé par des souscriptions et le soutien matériel de Ralph Allen.
Joueurs de cartes par le peintre suédois
Pehr Hilleström - 1779
Dans la Pump Room, il supervisait l'interaction des curistes, “s'assurant que la société de Bath était plus égalitaire, plus ouverte et plus raffinée que par le passé.” Bien que doté d’une autorité naturelle et d’un esprit de répartie fulgurant, parfois acerbe - que beaucoup de ses admirateurs appréciaient - il réussit à se poser dans le rôle de l'homme indulgent , tentant souvent d'éliminer tout risque de conflit, au point d’être qualifié de dictateur bienveillant. Il devint ainsi le confident de nombre de personnes de qualité, dont la duchesse de Marlborough l’épouse de John Churchill, le Grand Marlborough. à laquelle il avait répondu un jour avec finesse et humilité, alors qu'elle faisait allusion à ses origines obscures :
"Madame, je mentionne rarement mon père en compagnie, non pas parce que j'ai des raisons d'avoir honte de lui, mais parce qu'il a des raisons d'avoir honte de moi." Elle goûta la réponse, car les femmes d'esprit aiment les hommes d'esprit et non de cynisme facile. Le XVIIIè siècle raffolait particulièrement des jeux de l'esprit³. Qu'on pense à Ridicule, l'excellent film de Patrice Leconte.
Joueur invétéré, Nash gagna beaucoup d’argent et s’installa dans un hôtel particulier où il entretint quelques maîtresses. Cependant, l’année 1739 ne lui fut pas favorable, car des mesures strictes furent adoptées par le gouvernement et la profession de joueur devint de moins en moins recommandable aux yeux d’une société de plus en plus policée. Nash et ses “collègues”, hommes et femmes, avaient pourtant réussi à contourner cela par divers moyens, y compris par l'invention de nouveaux jeux. Ses revenus baissèrent, sa fortune s’estompa de même que son aura.
Sarah Churchill, duchesse de Marlborough par le peintre
Godfrey Kneller - 1700
En 1745, la loi “anti-gaming” fut resserrée. Bien que l’attractivité de Bath ait persisté, ce fut un inconvénient majeur pour Nash, car il s'était attribué, en tant que Master of the Ceremonies, un pourcentage sur tous les gains⁴
À partir de ce moment sa fortune fondit rapidement, il changea de domicile et son apparence si soignée se détériora. Il fut même catalogué de vicieux car vivant librement avec l'une de ses maîtresses ! Il disparut en 1761 à l’âge canonique de 87 ans. Délaissé - son époque était passée - il avait pourtant eu le coup de génie de nettement améliorer la fonction de Maître de Cérémonie. Celle-ci lui survécut et s'exporta dans les stations thermales et balnéaires du royaume, transformant le laisser-aller de ses compatriotes en élégance et instaurant les mille détails indispensables pour faire partie de la Polite Society.
Portrait de William Wade par Thomas Gainsborough - 1771
Après sa mort en 1761, les Rules de Beau Nash continuèrent d’être observées, imprimées dans The New Bath Guide. Son successeur élu, le capitaine William Wade exerça de 1769 à 1777. Bel homme - il fut baptisé The Bath Adonis - d’excellente famille, ayant quitté l’armée après son mariage avec une riche héritière, apprécié pour l'élégance de sa mise et ses manières distinguées, il surveilla le respect du protocole existant et institua de nouveaux divertissements. Il supervisa également la construction du nouveau bâtiment des Assembly Rooms jusqu’à son ouverture en 1771. Thomas Gainsborough peignit son portrait en pied et l’offrit à la ville. Hélas, Wade aimait trop la compagnie des dames et il fut contraint de quitter Bath en 1777, compromis dans un scandale conjugal. Il partit prendre le poste de Master of the Ceremonies de Brighton récemment libéré.
A Grande époque, Visiteurs de prestige - En voici les plus emblématiques, sans ordre chronologique⁵ choisis en fonction de leur notoriété auprès d'un lectorat anglophile.
Portrait de Daniel Defoe
vers 1720
J’ai cité en exergue Daniel Defoe (1661- 1731) le célèbre auteur de La Vie et les Aventures de Robinson Crusoé et de Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders. Originaire des Flandres, né à Londres, Il vint à Bath au début du XVIIIè siècle, bien avant les nouvelles constructions. Esprit bouillonnant, aventurier, touche-à-tout, commerçant, pamphlétaire et romancier, Defoe fut aussi un agent secret de Guillaume III d’Orange-Nassau, qui fut roi d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, avant la reine Anne. Or sous le règne de Anne, il fut condamné en 1703 à la prison pour avoir écrit un pamphlet contre l’intolérance de l’Église anglicane. A sa sortie, grâce à des amis influents, il trouva un emploi dans l’administration, fit anoblir son nom qui prêtait à la plaisanterie (foe = ennemi en anglais) pour jouer au parfait gentleman, et se lança dans la vie publique. Mais d’autres pamphlets lui ayant attiré de nouveau la disgrâce, il se détourna de la politique et ne s’occupa plus que de littérature - il eut raison car ses essais et témoignages au style vigoureux lui valurent le succès.
William Herschel (1738-1822) - Qui aurait pu penser qu’en 1781, en pleine saison de cure, de plaisirs, et de mondanités, un simple mais talentueux musicien, astronome amateur, du nom de Wilhelm Herschel, ferait une découverte majeure pour l’astronomie et la cosmologie ? “J’ai vu plus loin dans l'espace que jamais un humain ne l'a fait avant moi” se glorifiait-il à juste titre. Né à Hanovre, garde de régiment et hautboïste militaire, il fut appelé avec son frère aîné en Grande-Bretagne en 1756 afin de parer toute invasion française de l’île, pendant la terrible guerre de Sept Ans la Grande-Bretagne étant l'alliée de la Prusse. On les envoya combattre en 1757 à la bataille de Hastenbeck (Basse-Saxe). Horrifié par les tueries auxquelles il venait d'assister (3000 morts), Wilhelm déserta l'armée et s'installa définitivement en Angleterre.
William Herschel par Lemuel Francis Abbott - 1785
Gravure anonyme du télescope de 40 pieds de focale et de 48 pouces d'ouverture
Devenu William, pratiquant la musique dans diverses villes, il vint s’enraciner à Bath, fut nommé organiste de l’Octagon Chapel en 1766, puis directeur musical des Assembly Rooms. Il mena deux carrières. Car s’il demeura au centre de la vie musicale pendant dix ans et composa des pièces pour orgue, hautbois et violon ainsi que des symphonies, “appliquant les bonnes recettes éprouvées de la période préclassique”, il s'intéressa de plus en plus à l'astronomie, son premier amour. Avec sa soeur Caroline, il se mit à observer le ciel nocturne avec un télescope de location. Plus tard, ils fabriquèrent leurs propres instruments, consacrant chaque minute de leur temps à cette science. Et c’est dans la nuit du 13 mars 1781 que William fit la découverte d’Uranus, 7è planète en partant du Soleil, et la troisième plus grande du Système solaire. C'était la première planète découverte depuis l'Antiquité. En l'honneur de George III, William la nomma l'Astre géorgien ; le roi leur octroya à chacun une pension à vie pour se consacrer entièrement à leurs recherches scientifiques et gratifia William du titre d’Astronome Royal.
Ils quittèrent Bath pour Londres. De 1783 à 1802, ils firent d’autres observations et découvertes remarquables ; ils construisirent en 1789, un télescope de 12 m (40 pieds) de focale et de 1,22 m (48 pouces) d'ouverture. William fut anobli en 1816. Il fut élu membre d’une dizaine d’Académies des Sciences en Europe. Ses descendants furent tous des scientifiques.
Joseph Haydn (1732-1809) - Ayant quitté son dernier mécène, Nicolas II, prince d'Esterházy en 1790, Haydn entreprit un voyage en Angleterre. Depuis 1782, les organisateurs anglais espéraient une visite du célèbre compositeur. Quatre ans plus tard, à l'âge de 62 ans, il y fit d'autres visites. comme Hampton Court, Portsmouth, Winchester et finalement Bath et Bristol. Au cours des années 1794 et 1795, Haydn créa de nombreuses œuvres originales, notamment ses 6 dernières symphonies. Il arriva à Bath - qu’il considéra comme " une des plus belles villes d'Europe"- en août 1794, accompagné du flûtiste Andrew Ashe et du compositeur et violoniste Giambattista Cimador, d’une noble famille vénitienne
Ils séjournèrent dans la maison de campagne du célèbre castrat et claveciniste Venanzio Rauzzini interprète d’une multitude d’opéras, venu de Londres où il avait participé à la vie musicale. A Bath, il succéda à William Herschel en tant que directeur musical de la Pump Room et des Assembly Rooms. La description que Haydn fait de son séjour dans son journal rend compte de sa satisfaction "Le 2 août 1794, je partais pour Bath à cinq heures du matin et j'arrivais à 20 heures. Je suis resté chez M. Rauzzini, un musicien très célèbre qui était l'un des plus grands chanteurs de son temps. Il y vit depuis 19 ans, subvient à ses besoins en hiver grâce à des concerts sur abonnement et donne également des cours. C'est un homme très bon et hospitalier. Sa maison d'été, où j'ai séjourné, se trouve dans un très joli site sur une colline qui surplombe la ville.”
Peinture anonyme de J. Haydn dirigeant un quatuor à cordes. vers 1790
Portraits d'Elizabeth Linley et de son frère Thomas par Th. Gainsborough 1768
Thomas Gainsborough (1727-1788) - Le portraitiste et paysagiste vint s’installer à Bath en 1759 avec sa famille à l’instigation de sa soeur qui y demeurait. Venant d’Ipswich, ses commandes de portraits étaient insuffisantes, sa clientèle étant surtout constituée de marchands locaux et de petits propriétaires. Il emménagea dans le quartier retiré de Lansdown et loua une pièce près de l’Abbaye en guise d’atelier. Il se mit à étudier les portraits de Van Dyck - grand peintre flamand de l’aristocratie - dans les salons des châteaux alentour, afin d’ attirer la clientèle de la haute société, plus à la mode et plus rémunératrice. Pendant les 16 ans qu’il vécut dans la ville, il eut donc l’occasion de peindre des portraits de l’homme politique et philosophe Lord Chesterfield, du comédien irlandais Sheridan, de l’homme d’état Edmund Burke, du tragédien David Garrick et de la très belle Elizabeth Linley “qui chantait comme un ange” et collectionnait les soupirants. Mieux rétribué, Gainsborough put ainsi emménager dans une maison du très chic Circus.
L’année 1761, il adressa quelques toiles à la Society of Arts Exhibition de Londres et à partir de 1769 aux expositions annuelles de la Royal Academy dont il devint un des membres fondateurs. Il choisit des portraits de ses clients célèbres pour attirer l'attention. Ces expositions lui firent gagner en réputation. À Bath, de 1759 à 1774, il développa un style de portrait combinant la stricte élégance de Van Dyck avec une approche décontractée.
Pour Gainsborough, la ressemblance était "la principale beauté et l’intention du portrait". A Bath, il se posa en rival de Joshua Reynolds, exact contemporain, qui fut un autre cofondateur de la Royal Academy et son premier président. Tous deux avaient l'ambition de devenir le plus grand portraitiste du pays. “La critique les opposait régulièrement et ils en jouaient en produisant des œuvres dans l’intention délibérée d’inviter à la comparaison.” écrit un critique du XXè siècle. Ce qui fonctionna très bien pour les deux.
En 1774, le peintre quitta définitivement Bath pour Londres où il continua d’attirer la clientèle à la mode et nantie. Avant de mourir en 1788, ses derniers mots furent pour son maître : “Nous allons aux Cieux et Van Dyck s’y trouve déjà”.
David Garrick (1717-1779)
S’il est méconnu de nos jours, Garrick fut pourtant un comédien d’une renommée considérable, car il transforma le jeu scénique traditionnel, à la stupeur de tous, y compris de ses aînés. Il n’avait que 24 ans, âge où l’on fonce sans douter. Il inventa, en effet, une théâtralisation de l’oeuvre de Shakespeare, on reconnut même qu’il la révolutionna. Car il en abandonna le côté guindé et conventionnel - on le constate sans problème sur le tableau que Hogarth fit de lui dans le rôle de Richard III - pour un réalisme dénué de toute affectation, qui sidéra le public sur le champ. A commencer par le très
Représentation de Garrick dans le rôle titre de Richard III par William Hogarth - 1745
populaire théâtreux James Quin (1693-1766) qui eut cette remarque rare dans ce métier ” Si ce jeune homme a raison, moi et le reste des comédiens avons tout faux !” Avec du sang français dans les veines (Garric est un patronyme courant en Aquitaine) et une éducation sous la houlette de son mentor et compagnon de toujours, Samuel Johnson, il ne pouvait en être autrement !
Il fut engagé par la Direction du Théâtre Royal de Drury Lane⁶ à Londres, avec une rémunération sans précédent. Il en prit la direction conjointe en 1747 et monta plusieurs pièces du répertoire shakespearien, interprétant tous ses héros tragiques Roméo, King Lear, Macbeth.
Après avoir interprété Hamlet en 1772, il attira l'attention sur son “montage” novateur de tragédies, déplaçant des paragraphes, réintroduisant des rôles supprimés et restaurant des scènes non vues depuis les années 1600, créant également des scénographies avec costumes somptueux et trucages. Garrick eut le bonheur de superviser en 1769 le premier jubilé de Shakespeare à Stratford-upon-Avon, réjouissances qui marquèrent les débuts de la ville en tant que destination courue.
Il ne se produisit jamais à Bath mais il y vint plusieurs fois pour prendre les eaux, louant un appartement dans North Parade. En 1766, il revint pour quelques jours, son collègue et admirateur James Quin qui habitait la ville venait de s’éteindre. Garrick écrivit, en reconnaissance, une épitaphe que l’on déposa dans l’Abbaye. A Londres, ses propres funérailles furent grandioses en janvier 1779, autant que celles de Nelson en 1805. Il fut enterré à l'abbaye de Westminster en la présence du couple royal, 35 grands carrosses d'État, tirés chacun par six chevaux, conduisant les invités de marque. Des milliers de badauds suivirent la procession dans les rues. Un verset gravé au bas de la statue de Garrick dans l'abbaye relie ces deux noms illustres “Shakespeare et Garrick comme des étoiles jumelles brilleront / Et la terre irradiera d'un divin rayon.”.
D. Garrick par Joshua Reynolds - 1767
Henry Fielding ( 1707-1754)
Portrait de H. Fielding, gravure colorée - vers 1743
Qui n’a pas lu ou traduit L’histoire de Tom Jones, enfant trouvé ou vu le film de Tony Richardson qui en fut tiré, ou les remakes ? Son auteur, Henry Fielding, issu d’une bonne famille, désargentée, père officier dans l'armée de la reine Anne, et descendant des comtes de Denbigh, fut formé à Eton où il apprit l'art de l'écriture avec un regard sans pitié - qui convenait parfaitement à son tempérament rebelle et lucide - et où il noua une longue amitié avec de futurs hommes politiques tel William Pitt l'aîné.
Il étudia paresseusement aux Pays-Bas, puis revint se fixer à Londres en 1727. Fielding opta alors pour l'écriture dans tous les domaines : poésie, roman, articles et surtout théâtre. Il ne rédigea pas moins de 29 opus pour la scène touchant à tous les genres. Ses premières publications ne furent qu'un pamphlet et deux poèmes. Mais, il fit sensation au théâtre., où l'ironie y était déjà souveraine, correspondant parfaitement à l'insolence ambiante de l'époque.
Ses pièces et même ses farces, en effet, dépassaient l’aspect politico-satirique car elles représentaient surtout la prééminence du théâtre pendant la décennie de ses 20-30 ans. Fielding “domina la scène londonienne comme jamais, depuis le règne du grand dramaturge John Dryden”.
Elles lui apportèrent célébrité et aisance financière mais un décret de censure - le Stage Licensing Act - y mit fin en 1737. Car ses pièces comiques se voulaient surtout des satires sur les insuffisances du premier ministre, Robert Walpole, en place depuis plus de vingt ans, raillé copieusement par d'autres auteurs.
Fielding changea alors d’objectif et de 1738 à 1740, risquant la pauvreté, il se tourna vers le droit, assimilant tout le corpus des lois et de la jurisprudence anglaises - pas simple après la littérature - et entra au barreau en juin 1740. On lui confia un poste de juge responsable de réformes radicales de l'application de la loi ; fondant ainsi le premier service de police professionnel de Grande-Bretagne. Situation cocasse pour un personnage à l’esprit aussi subversif !
Or, ses faibles émoluments étaient loin de suffire à ses mauvaises habitudes de vie et aux besoins de sa famille. Immature et n’ayant aucun sens financier. Il continua donc d’écrire et collabora à plusieurs journaux. Le sort s’acharnant, il perdit successivement entre 1741 et 1744, deux enfants en bas âge ainsi que sa chère épouse. Son profond désarroi le poussa à chercher du soutien auprès de sa famille. C'est alors qu'il se rapprocha en 1748 de Sarah Fielding, une soeur, elle-même romancière douée, qui avait publié un premier roman. Elle vivait à Widcombe à la lisière de Bath et écrivait avec un certain succès - elle publia en 1749 La Gouvernante ou la petite académie féminine, le premier roman de langue anglaise destiné aux enfants. Fielding trouva un refuge temporaire auprès d’elle.
C’est ainsi qu’il intégra le groupe des hôtes de Ralph Allen à Prior Park tout proche. Certains d’entre eux d’ailleurs furent frappés par son allure de “débauché émacié et usé, dont la goutte et les infirmités ont eu raison de la bouffonnerie.” Cependant Fielding, encouragé, continua d’écrire ; et deux romans satiriques virent le jour : Histoire de Tom Jones, enfant trouvé en 1750 - dans lequel on reconnaît le riche et généreux Ralph Allen en Squire Alworthy ( jeu de mots sur le surnom de The 4 worthiest) et dont la lecture est à plusieurs niveaux - et Amelia, publié à la suite -, furent de vrais succès financiers.
Affiche du film avec Albert Finney - 1963
On a dit de Tom Jones qu’”avec ses distractions, ses vanités, sa truculence, sa friponnerie, Fielding a fait valoir la thèse que la force, la tromperie et l'insensibilité caractérisent les grands hommes de tous les temps. Ce qui lui permit de porter quelques coups à son vieil ennemi Walpole”. Le roman qui doit en partie son inspiration à la vie de son auteur et à l’atmosphère très caractéristique de l'Angleterre du XVIIIe siècle, est souvent considéré comme une autre “Comédie Humaine”. Il est vrai que la nécessité où il fut de gagner sa vie et de fréquenter tous les milieux, même les plus douteux, lui a fourni une connaissance étendue de la nature humaine.
Fielding reprit son lourd poste de magistrat qui consuma le reste de ses forces diminuées par sa vie de bâton de chaise. Sa santé déclina à un point tel qu’il alla vivre sous des cieux cléments avec sa seconde femme et ses enfants. Il mourut au Portugal, à seulement 47 ans. Allen assura l'éducation de ses enfants après sa mort.
Samuel Johnson (1709-1784) - Le lexicographe, poète, essayiste, biographe, traducteur, journaliste, éditeur et critique littéraire fut une des figures majeures de la littérature anglaise du XVIIIè siècle. Son grand œuvre, The Dictionary of the English Language, (Dictionnaire de la Langue anglaise) , publié en 1755, lui demanda neuf ans de travail - en comparaison, les 40 membres de l'Académie française ont mis 40 ans à créer le leur - et “compte facilement comme l'un des plus grands exploits de l'érudition”. Il disait à juste titre : “Les grands accomplissements sont réussis non par la force, mais par la persévérance.” Qu'on se le dise.
Né à Lichfield dans le Staffordshire, d’un père libraire, il suivit des cours à Oxford pendant un an, mais renonça faute de moyens. Il se tourna vers l’enseignement mais se vit refuser un poste parce que l'on craignait que son “habitude de déformer son visage" n'effraie les élèves. Car à la suite d’une intervention quand il était enfant, des cicatrices indélébiles et des tics sur son visage persistaient. Alors, Johnson créa sa propre école, dans sa ville natale . Or, il n'y avait que trois élèves inscrits dans l’établissement à l’ouverture, dans les années 1730. Et l'un de ces trois enfants était le futur tragédien David Garrick.... Ce dernier accompagna, un peu plus tard, son
Samuel Johnson par Joshua Reynolds 1775
instituteur à Londres pour y chercher fortune. Tous deux devinrent prééminents dans leur domaine, Johnson comme homme de lettres Garrick comme interprète de Shakespeare sur la scène londonienne.
D'ailleurs, les commentaires savants de Johnson sur Shakespeare sont encore étudiés et vus comme des classiques. Anglican pieux et fervent conservateur mais doué d’humour, il a toujours été considéré comme "probablement le plus distingué des hommes de lettres de l'histoire de l'Angleterre ". Il vint en cure à Bath au printemps 1776, accompagné du brasseur et politicien Henry Thrale qui rejoignait sa famille.
Johnson y soigna les troubles physiques et psychiques qui le harcelaient depuis toujours : dépressions, addiction aux drogues. La saison était particulièrement brillante cette année-là : une pièce du comédien et dramaturge Sheridan attirait les foules, Herschel menait l’orchestre de la Pump Room, les Assembly Rooms créaient de nouveaux divertissements et North et South Parades étaient noires de monde. Le Conseil de la Ville accueillit Johnson avec les honneurs et le choya tout au long de son séjour.
Marie-Thérèse-Louise de Savoie, princesse de Lamballe (1749 – 1792)
Née dans la Maison royale du Piémont, Marie-Thérèse de Savoie-Carignan fut mariée à Louis-Alexandre de Bourbon prince de Lamballe, fils du duc de Penthièvre, lui-même petit-fils de Louis XIV et dont on dit qu’il fut ”l’homme le plus riche d’Europe”. Menant une vie dissolue et dépensant des sommes folles, Louis-Alexandre dut vendre les diamants de son épouse pour éponger ses dettes de jeu ; il mourut moins d'un an après son mariage d'une maladie vénérienne, à l'âge de 20 ans, sans descendance
Veuve à dix-huit ans, Marie-Thérèse-Louise fut recueillie par son beau-père ; ils s’accordèrent bien et devinrent très actifs dans diverses œuvres charitables. Marie-Antoinette, dauphine, la prit sous sa protection puis, devenue reine, la nomma Surintendante de sa Maison. Or, la reine comprit que son amie était trop sérieuse pour cette fonction et la délaissa sans l'oublier pour autant, Marie-Antoinette se tourna alors vers la piquante Gabrielle de Polignac qui prit la place de l’amie dévouée.
La famille du Duc de Penth!èvre (détail) - Mme de Lamballe assise - par Jean-Baptiste Charpentier - 1768
Cependant, devenue franc-maçonne - élue Grande Maîtresse de la "Mère Loge Écossaise" - Marie-Thérèse fut proche des Encyclopédistes, s'intéressait à toutes les avancées de son temps et se passionnait pour le mouvement intellectuel des Lumières. Audacieuse, elle se préoccupait de la condition des femmes au point d'être la première à organiser un souper féminin ! Ce qui mécontenta Versailles..
La Révolution commençant à gronder, sur les instances de son beau-père, elle consentit à fuir en Angleterre. Voici un extrait de la supplique du duc : “Vous arracher de mes bras me fait frissonner et tout affaibli par l’âge et la maladie je sens que je vous défendrais ; et vous auriez peut-être la douleur de me voir immolé à vos pieds et mon sang qui rejaillirait sur vous ne prolongerait pas vos derniers instants et les rendraient plus douloureux.” Ces mots firent une si forte impression sur la duchesse qu’elle se laissa persuader, et consentit à passer en Angleterre, sous le prétexte que sa santé exigeait qu’elle prît les eaux de Bath⁷.
La maison n°1 du Royal Crescent,
devenue Musée du XVIIIè siècle
Selon le Bath Chronicle du 27 septembre 1786, Madame de Lamballe arriva avec une importante suite et son médecin. Elle avait loué la maison du 1 Royal Crescent. Elle frappa les esprits par son hyper sensibilité ; en effet, si elle subissait le moindre choc, elle pouvait s’évanouir pendant plusieurs heures. Certains parfums la rendaient malade et la vue de crustacés, même en peinture, lui procurait des vapeurs ; sans compter des accès de mélancolie.
Elle goûta aux bienfaits curatifs des eaux puis repartit par Londres, Bruxelles et Spa avant de retrouver la famille royale. Elle émigra temporairement à Aix-la-Chapelle, en 1791, mais revint naïvement partager le sort de sa Reine.
La Révolution précipita sa perte. Emprisonnée au lendemain du 10 août 1792, Marie-Thérèse fut tuée un mois plus tard lors des massacres de septembre. Son supplice, le 3 septembre 1792 incarna la sauvagerie d’une foule décidée à ne pas faire de quartier parmi les proches des souverains.
Horace Walpole (1717 -1797)
Plus jeune fils de Robert Walpole (Premier ministre britannique, comme on l’a vu plus haut, honni de Henry Fielding), fut un homme politique, mais surtout écrivain original et prodigieux épistolier - il écrivit environ 3000 lettres pleines d'esprit. Grâce à la fortune de son père, Il put mener une vie de dilettante, jouissant de sa vaste bibliothèque et de sa collection de tableaux. Passionné par les curiosités historiques, il constitua un très important ensemble de sculptures antiques, médailles, miniatures, bronzes et porcelaines. On peut dire que c'est l’excentrique anglais caractéristique.
En 1749, il acquit une maison sur Strawberry Hill près de Twickenham, qu'il appela petite maison-joujou. Il en décora l'intérieur, puis, à partir de 1753, entreprit d'y matérialiser par étapes ses visions esthétiques sur des plans dressés par un comité du goût composé de ses amis gays. Il parvint ainsi à un amusant bâtiment de style néogothique qui préfigurait les développements ultérieurs du renouveau gothique du XIXe siècle. On parlera par la suite du style Strawberry Hill.
Portrait de Horace Walpole par Joshua Reynolds - 1756
Strawberry Hill House à Twickenham
Décidément attiré par le gothique, il publia en 1764 un roman, Le Château d'Otrante, lançant un style littéraire qui provoqua un raz de marée en Europe, comme en témoignent les traductions et inspirations jusqu’au début du XIXè siècle. “Le roman gothique place l’imaginaire au pouvoir et promeut une nouvelle esthétique à l’opposé de l’esthétique classique. C’est désormais le triomphe de l’émotion sur la raison, de l’obscurité sur la lumière, de l’inconscient sur le conscient (...) l’irruption du surnaturel et l’importance donnée au cadre médiéval propice aux apparitions spectrales et macabres suscitant la terreur et l’horreur⁸" On pense à Radcliffe, Poe, Bram Stoker ou Stevenson qui connurent le succès avec leurs romans devenus cultes.
Il vint à Bath en 1766 et y demeura trois mois. L’écrivain Thackeray témoigna plus tard : “Il était maladivement hautain, absurdement dandy et affecté d'un esprit brillant, d'une sensibilité délicieuse et, pour ses amis, d'un cœur des plus tendres... Les collines de la région le gênaient car on ne peut sortir de la ville sans grimper". "Il n'aimait pas non plus les nouveaux bâtiments, qui ressemblaient à une collection de petits hôpitaux entassés les uns sur les autres et entourés de collines perpendiculaires“. "Oh, comme c'est différent de ma charmante Tamise ! se plaignait-il. Son dernier jugement sur la ville est tout aussi désobligeant : "Ces abreuvoirs (sic) qui imitent une capitale et y ajoutent des vulgarités et des familiarités qui leur sont propres, me font l'effet d'Abigail dans des robes de fonte, et je ne suis pas assez jeune pour m'intéresser à l'une ou l'autre de ces choses". Il quitta Bath, l'ego soulagé.
Oliver Goldsmith (1728-1774) - S'il y a un personnage à qui le dicton : "Trente-six métiers, trente-six misères" convient bien, c'est Oliver Goldsmith. Fils d’un vicaire anglican irlandais, son caractère fantasque et brouillon le poussa à mener une vie d’expériences et de luttes dont la course à l’argent qui lui faisait tant défaut. Sa conduite dissolue et son besoin d'amusements lui valurent des dettes. Thomas De Quincey écrivit à son sujet "Tout le mouvement de la nature de Goldsmith se dirigeait vers le vrai, le naturel, le doux. l'amical.” Mais pas l'efficace !
Touche-à-tout velléitaire, il pensa être ordonné prêtre, échec. Il tenta d’émigrer vers l'Amérique : échec. ll décida d'étudier le droit et la théologie : échec. Il étudia un peu de médecine et de chimie à Édimbourg. En 1755, son désir de voyages l’incita alors à visiter les Flandres, la France, la Suisse et l’Italie. Il revint s'installer à Londres et y exerça plusieurs métiers, comme celui d'assistant d'apothicaire : échec. Il se présenta devant le Collège des Médecins pour un poste dans un hôpital : échec. En 1759, dans l'espoir de gagner sa subsistance, on le vit correcteur d'épreuves et rédacteur dans divers journaux. En 1760, il se fit connaître en publiant une chronique exotique intitulée Lettres chinoises - inspirées des Lettres Persanes - éditées en 1762 sous le titre de Citoyen du Monde.
Portrait de O. Goldsmith par J. Reynolds - 1770
Cette année-là, il entreprit son premier voyage à Bath. Beau Nash étant mort depuis un an, Goldsmith vit là l’opportunité de rédiger sa biographie, La vie de Richard Nash, dans le but d’obtenir un confortable pécule. Son texte fut franc, sans désir de le blanchir. “Il est parvenu au sommet du luxe de second-niveau !” “De toutes ses plaisanteries dont on se souvient, je n’en ai pas trouvé qui ne soient empreintes d’irritabilité. Mais, une fois par semaine, il pouvait dire quelque chose de bien !”. Il fournit quelques exemples de l'extrême flatterie prodiguée à Beau Nash, des poèmes et des dédicaces à sa sagesse et sa générosité. L'ouvrage constitue un témoignage plein d'esprit et très vivant de l'ambiance de Bath à cette époque.
Le Vicaire de Wakefield, édition du début du XXè siècle
Par bonheur, Goldsmith se lia avec Samuel Johnson qui lui permit de s'imposer dans le monde des lettres en l’encourageant à publier Histoire de l’Angleterre, série de lettres d’un Noble à son Fils. Et, en 1766, son éditeur publia ce qui fut son chef-d'œuvre donnant lieu à un succès foudroyant et à plusieurs rééditions : le récit Le Vicaire de Wakefield où abondent des souvenirs de son enfance, pleins de charme et des réflexions philosophiques et humanistes. Qui n’a pas eu, en cours d’Anglais à en traduire les passages les plus attachants pour leur réalisme et leur bonhomie ?
Quatre ans plus tard, il composa le poème Le Village abandonné qui eut un joli retentissement en attirant l'attention sur les paysages irlandais de son enfance. Accompagnant Lord Clare, comte de Nugent, son protecteur et homme politique viveur et dépensier - auquel il avait dédié l’amusant poème Le Cuissot de venaison - il revint à Bath en 1771 pour la saison. Egalement dramaturge, Goldsmith écrivit la célèbre comédie Elle s'abaisse pour triompher dont l’ intrigue vaudevillesque consiste en stratégies de séduction, à l'origine de l'expression "Ne me posez pas de questions et je ne vous dirai pas de mensonges !." Elle fut remarquablement accueillie par le public et les critiques et est devenue un classique du répertoire britannique. La fin de la vie à 46 ans de Goldsmith fut troublée par diverses querelles. Il mourut sans surprise, criblé de dettes.
Lady Emma Hamilton (1765-1815)
La destinée de cette femme connut une sinusoïde remarquable. Après une enfance plus que modeste, le destin la propulsa vers des milieux auxquels elle était étrangère, l'aristocratie, le Royaume de Naples et ses fastes, l’entourage et l’amour du glorieux officier de marine Nelson puis après la mort de ce dernier, la descente aux enfers.
Dès quinze ans, domestique, puis vendant ses charmes, elle finit par attirer l’attention de Charles Greville, frère du riche comte de Warwick. Il devint son pygmalion et lui fit suivre des cours de maintien, de chant, d’élocution et la présenta au portraitiste George Romney, qui en fit une cinquantaine de portraits. Or les ambitions financières de Greville le contraignant à un mariage avantageux, il ne pouvait épouser Emma. Il la poussa alors dans les bras de son oncle, veuf, William Hamilton, ambassadeur d'Angleterre auprès du Roi de Naples .
Un des 50 portraits de Lady Hamilton par George Romney - 1782
Collectionneur d’art, homme raffiné, et cultivé, Hamilton la reçut à Naples comme l’hôtesse idéale et l’épousa en septembre 1791 à Londres. Elle devint ainsi lady Emma Hamilton.
Proche de la reine Marie-Caroline d'Autriche, épouse de Ferdinand Ier de Naples, elle s'étourdit dans une vie de luxe et de fêtes, fréquentant assidûment la Cour. Les artistes se querellaient pour avoir l'honneur de la portraiturer.
Deux ans plus tard, Horatio Nelson débarquant à Naples pour rassembler des troupes fraîches contre les forces napoléoniennes, William Hamilton lui proposa de l'héberger. Emma l'accueillit en digne épouse d’ambassadeur.
Elle ne le revit qu’en 1798, dans toute sa gloire. Très émue par l’état de santé de l’amiral qui avait perdu son oeil droit en 1795 et son bras droit en 1797, Emma le soigna. Ils tombèrent amoureux l'un de l'autre.
Hamilton, 67 ans, qui avait ungrand respect pour Nelson, toléra leur liaison. Puis, cédant son poste en 1800. le diplomate et Emma emménagèrent à Londres. Mais Emma, enceinte, se réfugia dans un cottage à la campagne, acquis par Lord Nelson. Elle y donna naissance à une fille en janvier 1801. Il semblerait que Hamilton ait ignoré l'événement (?) Quoi qu’il en soit, à son décès en 1803, son testament désignait son neveu Charles Greville comme seul héritier. Nelson envisagea le divorce, mais Emma, pourtant libre, convaincue que cela nuirait à la réputation de Nelson, s’y opposa. A la reprise des hostilités entre la France et le Royaume-Uni, en mai 1803, Nelson retourna en mer.
21 octobre 1805 : date fatidique, celle de la mort de Nelson lors de la bataille de Trafalgar. Ce fut alors le début du déclin d’Emma. Contrairement aux volontés de l’amiral, le frère de ce dernier abandonna Emma à son sort, s'étant organisé pour détruire le codicille la concernant. Si Fanny, la femme de Nelson, perçut une partie de l'héritage ainsi qu’Horatia, sa fille illégitime qui passait pour une filleule d'Horatio, toucha une somme modeste. Emma vendit progressivement ses meubles, tableaux et objets précieux. Elle fit un séjour à Bath en 1809, dans un appartement discret, dépensant sans compter et devenant dépendante au jeu.
Elle s'endetta. Il ne resta bientôt plus rien de la petite pension laissée par Hamilton et plus rien de sa beauté. Les dettes s’accumulèrent ; le recours qu’elle formula auprès de la reine Marie-Caroline de Naples resta sans réponse. Elle connut alors l’emprisonnement pour dettes pendant 13 mois. Pour fuir ses créanciers, elle se réfugia en France, à Calais et se tourna vers l’alcool. Elle mourut dans la misère en 1815 à 49 ans. Une main discrète régla les frais d'obsèques.
L'amiral Nelson (1758-1805)
Le futur héros vint à Bath pour la première fois en 1772 accompagner son père, pasteur dans le Norfolk, qui y prenait régulièrement les eaux. Nelson était à l’époque un mousse de 14 ans récemment entré dans la Navy, Gainsborough a d’ailleurs peint son portrait dans son bel uniforme bleu. Neuf ans plus tard, Capitaine en titre, Nelson revint à Bath pour un plus long séjour. Sa santé avait été affectée par trente mois de service continu aux Caraïbes, dont le point culminant fut la malheureuse expédition de la forteresse de San Juan au Nicaragua. Nelson commanda avec succès la prise d'un avant-poste espagnol. On le félicita mais le corps expéditionnaire fut décimé par les fièvres et Nelson, malade, dut être évacué avant la fin du siège.
Il arriva à Bath à l’automne 1780 et logea dans un appartement prêté par l’apothicaire. Un médecin lui prescrivit un arsenal de médicaments et de bains. Ce qui le soulagea car en 1781 il put écrire à son ami le Capitaine Locker : “Je suis bien rétabli, Dieu Merci, bien que j’aie à rester ici encore quelques semaines afin que ma santé soit totalement restaurée ainsi que pour éviter le froid qui, je crois, s'installe”
Portrait d'Horatio Nelson par Lemuel Francis Abbott
Il revint à Bath en 1797 avec son épouse Fanny, après avoir perdu un bras à la bataille de Ténériffe. Il est devenu Contre-amiral Sir Horatio Nelson. Bath, l’accueillit en héros et le décora de The Freedom of the City, honneur insigne très ancien accordé par la municipalité après la victoire navale du Cap Saint-Vincent au Portugal. Un journal local enthousiaste commenta “Arrivée à Bath de l’Amiral Sir Horatio Nelson. Il fut reçu à Portsmouth par des ovations, atteignit Bath dimanche soir en bonne forme physique et mentale, à la grande joie de son épouse et de son vénérable père, et la reconnaissance de tout admirateur de la Valeur Britannique…” Il demeura dans la cité quinze jours ; la plaie occasionnée par l’amputation de son bras droit fut soignée quotidiennement par un chirurgien. Puis il repartit pour Londres à la mi-septembre 1797. On ne le revit plus.
Le HMS Victory visible en rade de Portsmouth
Le père de Nelson continua de fréquenter Bath ; il décéda dans sa maison de Pulteney street trois ans avant la mort tragique de son fils.
A sa mort en 1805, à 47 ans, sur le HMS Victory, Nelson fut célébré en héros et eut droit à des funérailles grandioses. Un cortège de dix mille soldats précédés de trente-deux amiraux et d'une centaine de capitaines accompagna le cercueil jusqu'à la Cathédrale Saint-Paul. Tous partagés entre la joie de la victoire et le chagrin. De nombreux monuments à travers le pays célèbrent sa mémoire, comme la colonne Nelson au cœur de Trafalgar Square à Londres. Bath conféra le nom prestigieux de Nelson à une place - Nelson Place - et à une rue Nile Street - rue du Nil - en souvenir de la victoire du Nil en 1798.
Joseph Wright of Derby (1734 – 1797)
Le peintre vécut à Bath dans la toute récente Brock Street qui relie le Circus au Royal Crescent. Né à Derby (Derbyshire), fils d’avocat, Wright adolescent, apprit à dessiner par lui-même. Puis, à Londres à 17 ans il fut accepté comme élève pour apprendre le portrait, par le célèbre “portraitiste de l'establishment britannique" Thomas Hudson (1701-1779) qui eut aussi dans son atelier. Thomas Jenkins et le très jeune Joshua Reynolds.
En 1753, Joseph Wright revint à Derby où il débuta sa pratique du portrait - l'essentiel de ses revenus - en utilisant souvent la technique du clair-obscur, célèbre méthode empruntée au Caravage, pour laquelle on le considéra déjà comme un spécialiste. Le Philosophe faisant un exposé sur le planétaire en 1766 et Une Experience sur un oiseau dans la pompe à air en 1768 furent ses premiers “grands tableaux d'expérience scientifique s'organisant autour d'un très lumineux centre d'attraction” “chefs-d'œuvre entièrement originaux de l'art britannique”.. commenta-t-on.
Puis, séjournant à Liverpool, entre 1768-1771, il fréquenta le milieu des personnalités de la ville et peignit leur portrait de façon plutôt conventionnelle. Tout en poursuivant ses toiles à l’atmosphère théâtrale comme La Forge de fer peinte en 1772.
Fin 1773, il entreprit un tour d’Italie avec son épouse pendant deux ans. À Naples, le peintre fut si impressionné par l'éruption du Vésuve qu’il en fit le sujet d'une trentaine de toiles et à Rome, il assista au grand feu d'artifice annuel du Château Saint-Ange et en fit une représentation réaliste mais fabuleuse. Démontrant ainsi sa fascination pour les effets de lumière saisissants, ”ces jaillissements crus, ces rougeoiements intenses au milieu de la nuit” et “le goût pour le sombre rendu tangible par la lumière”,
La Forge de fer - Joseph Wright of Derby 1772
Le Vésuve de Portici - Joseph Wright of Derby
entre 1774 et 1776
Je me souviens de la rétrospective de Wright of Derby à Paris en 1990 ; j’avais été frappée par le côté très spectaculaire empreint de mystère voire de fantastique des toiles exposées, “cette sourde angoisse derrière la simplicité apparente,” dont parle le spécialiste Frédéric Ogée⁹. Il manifestait une indéniable singularité et un sens de la composition sans pareil.
A son retour d'Italie il s'installa à Bath comme portraitiste, espérant combler le vide laissé par le départ de Gainsborough pour Londres. Or son style un peu trop réaliste ne séduisit pas assez la société sophistiquée, qui lui préférait la touche de Gainsborough. Celle-ci traduisait parfaitement l’assurance ancestrale des aristocrates, la suffisance des snobs nantis et la sensibilité ou la fragilité des artistes. Car à Liverpool, ses clients étaient le plus souvent les inventeurs ou les premiers grands industriels qui ont surgi dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle, qui ne représentaient, que des témoignages historiques et non esthétiques.
Il ne rencontra pas à Bath le succès escompté et se découragea au bout de deux ans ; il retourna dans sa ville natale pour le reste de sa vie. Il se consacra à des commandes de portraits mais en grande partie à la peinture - sereine et simple - de paysages, notamment ceux de la superbe région des Lacs (The Lake District) en 1793 et 1794, un peu comme Gainsborough qui confia à un ami avoir "besoin de me rendre dans un village charmant, où je peux peindre des “landscapes” et profiter de la fin de la vie en toute tranquillité et facilité.”
Josiah Wedgwood (1730 - 1795) Ci-dessus j'évoque les premiers industriels britanniques. de la région de Liverpool, dans le Lancashire. Un autre industriel, immense inventeur, créateur et gestionnaire fit la fierté de la ville de Stoke-on-Trent dans le Staffordshire, à la même époque. C'est Josiah Wedgwood qui y fonda une manufacture de faïence et de porcelaine en 1759, et en fit un des fleurons de l'art décoratif et des arts de la table anglais, toujours actif. Tout Anglais, aujourd'hui, quel que soit son milieu social, connaît le nom de Wedgwood et en possède au moins un objet emblématique .
Né en 1730, Josiah représentait la quatrième génération d'une lignée de céramistes. Il se montra remarquable à plus d’un titre. Handicapé physique et souffrant d'une santé très précaire, il eut malgré tout la chance d’avoir tout jeune un professeur doué d’un grand sens de l’efficacité qui lui enseigna la valeur des expériences, des données et surtout de la méthode en tout domaine. pour progresser. Au point que Josiah fut rapidement reconnu comme un pionnier en matière de fabrication, d'organisation du travail, d’invention technique, de conception, de création artistique, de marketing et de communication, anticipant les demandes d’un marché de consommation balbutiant.
Josiah Wedgwood en 1780 par George Stubbs, sur plaque de wedgwood émaillée
A la tête de la manufacture, il fédéra une poignée d' hommes complémentaires pour diriger les ateliers et, en 1769, il put construire, associé au très dynamique marchand Thomas Bentley, une véritable usine nommée Etruria, impulsant à la fabrication un développement industriel joint à une qualité jusque-là inconnue. Il orienta ses recherches sur l'aménagement des responsabilités et horaires de travail des potiers et sur les techniques de cuisson des faïences. Ainsi réussit-il à produire de la faïence fine équivalente en qualité à la porcelaine, et des grès comparables à des métaux ou des pierres dures, comme le jaspe ou le marbre et le basalte.
Et comme l’époque raffolait des découvertes archéologiques grecques et romaines - Herculanum en 1709 et Pompéi en 1748 - il se concentra sur la sculpture, le dessin et les couleurs - comme l’invention de vernis, d’argile colorée et de pâte dite jaspée. Il fit créer par ses designers des pièces aux couleurs mates ou sombres pour ressembler à celles figurant dans les gravures de la collection de vases grecs de Sir William Hamilton, faisant l'objet du catalogue “1766-1767 - Collection d'antiquités étrusques, grecques et romaines du cabinet de l'honorable Wm. Hamilton” - l’ambassadeur évoqué dans l’article sur Lady Hamilton.
Vases Porphyry imitant le porphyre avec anses imitant le métal doré - 1775
Plaque décorative inspirée d'un motif antique, aux teintes caractéristiques blanc sur fond bleu soutenu
Wedgwood nomma sa fabrique Etruria où Il édita toutes sortes de vases, coupes et plats à l'antique et appliqua les dessins qu’on lui proposait sur des plaques honorifiques ou décoratives destinées au mobilier de prix et aux grandes maisons patriciennes, et même des bijoux imitant les camées. Etruria en vint à former un village, implanté au bord du canal Trent and Mersey pour l’acheminement de ses produits vers le marché londonien.
Les artistes comme John Flaxman, George Stubbs, Elizabeth Templeton, Diana Beauclerk, imaginaient et copiaient des motifs antiques, blancs sur fond pastel très délicats. Un modeleur et un sculpteur façonnaient ensuite des petits bas-reliefs, reproduits grâce à des moules.
Etruria fut imitée dans tout le Staffordshire où les potiers à sa suite, adoptèrent ce style. Mais aussi de très grands architectes-décorateurs comme Robert Adam et son frère James, John Vanbrugh, Christopher Wren, William Chambers et bien sûr John Wood Junior à Bath. Regardez plus haut la Salle de Bal des Assembly Rooms.
Bath justement : Josiah Wedgwood y vint pendant l'été 1772 pour y ouvrir un show-room dans les élégants Westgate Buildings et présenter ses productions autour d'une mise en valeur accrocheuse. Son épouse l’accompagna, comptant sur une cure pour soigner ses rhumatismes. Josiah écrivit à un ami “La saison semble totalement passée ici et la ville est sous la chaleur. Nous prenons le grand air sur les Downs le matin, buvons trois ou quatre verres d’eau brûlante à la Pump Room, puis allons transpirer dans les lieux les moins chauds le reste de la journée.” Ce qu'avaient fait les habitués de Bath en retournant dans leurs propriétés, à l'ombre des grands arbres ! La santé de Mme Wedgwood ne s’améliora pas et ils repartirent dans le Staffordshire. On ne sait s’il vendit beaucoup de ses productions mais, lui, le stratège avisé, qui avait su anticiper ne fut pas très inspiré cette année-là !
Alexander Pope (1688 - 1744)
Encore un Anglais qui avait la dent dure ! Il est vrai que le Siècle des Lumières fut quelque peu insolent. Poète, écrivain, traducteur, essayiste, et théoricien, ami personnel du satiriste anglo-irlandais Jonathan Swift, Pope est encore considéré par les Britanniques comme le plus grand poète anglais du début du XVIIIè siècle et le plus souvent cité après Shakespeare et Tennyson dans l’Oxford Dictionary of Quotations. Superbe référence.
Le fait d’être né dans une famille, certes fortunée, mais de Recusants (récusants en Français, les chrétiens réfractaires à l'Église d'Angleterre), et formé dans des écoles catholiques¹⁰ qui étaient alors semi-clandestines, a sûrement contribué à
Alexander Pope par Jean-Baptiste van Loo 1742
éveiller la causticité de Pope - au nom doublement cocasse puisqu’il signifie pape. Il est en effet célèbre pour son poème satirique - ou crétinade en Français - The Dunciad, (La Dunciade - ou l’Angleterre démasquée) qui célèbre la déesse Dulness (bêtise) et décrit le travail de ses envoyés personnels à répandre la décadence, l'imbécillité et le mauvais goût à travers la Grande-Bretagne. Publié en 1728, ce poème burlesque, voire sarcastique, en 10 chants, en vers et prose, virulente. satire de ses confrères en poésie, fut réédité plusieurs fois tant il fut accueilli avec curiosité et amusement, et fut suivi de The New Dunciad. Bien d'autres satires suivirent.
Première édition de l'Iliade en 1715 imprimée par B. Lintot Londres
Première édition de l'Odyssée en 1725 - imprimée par
B. Lintot Londres
Autre titre de gloire, la traduction en vers de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, publiée à Londres en 6 volumes, par souscription, entre 1715 et 1720. Pope y travailla dès l’âge de 25 ans, pendant plus de 6 ans, de façon brouillonne sur des feuillets volants, comme des verso de lettres, papiers récupérés, très raturés et annotés, ce qui eut un double intérêt littéraire puisque les lettres donnent un aperçu de la vie de Pope, jeune .
Cette magnifique réalisation, louée pour sa grande puissance rhétorique, établit la prééminence de Pope parmi les poètes de son temps. Samuel Johnson déclara qu'il "s'agissait là de la plus grande traduction jamais réalisée en anglais ou dans toute autre langue". Elle lui a assuré une indépendance financière pour le reste de sa vie. comme il le déclara en 1737 : “Mais grâce à Homère, puisque je vis et prospère /Je ne suis redevable à aucun prince ou pair vivant”.
Quand Pope se rendit à Bath pour la première fois en 1714 il apprécia la ville et écrivit à un ami qu’il “y avait à y faire les plus belles promenades au monde”. Puis, il vint régulièrement pendant la saison et résida souvent chez Ralph Allen à Prior Park. Les deux hommes, intelligents et cultivés, devinrent amis proches. Un jour, pourtant, ils se querellèrent et Pope aggrava la situation car selon ses dernières volontés il laissa à Allen, un legs de 150 livres ! “étant, si je calcule bien, le montant de ce que j'ai reçu de lui”. Ce fut un geste inélégant surtout vis-à-vis d’un homme aussi généreux qu'Allen. Ce dernier immédiatement gratifia une oeuvre caritative de la somme. Pope avait un caractère ombrageux, à cause de sa petite taille, due à une tuberculose osseuse quand il était enfant, ce qui avec son statut de récusant le plaçait dans un isolement social, n’ayant qu’un étroit cercle d'amis. Sa poésie n'en fut pas gâchée pour autant, mais elle posséda souvent une tonalité amère, comme ces deux épigrammes passées dans le langage commun " L'erreur est humaine, le pardon est divin” et ”Les imbéciles se précipitent là où les anges ont peur de marcher”.
Thomas Hudson (1701-1779) fut un peintre extrêmement prolifique. Au cours des années 1740, Hudson était l'un des principaux portraitistes britanniques et croulait sous les commandes. Il se forma auprès de son beau-père, le théoricien et peintre Jonathan Richardson, dont il assimila et développa le style baroque des portraits : couleurs vives et poses inspirées d'artistes tels que Van Dyck et Godfrey Kneller. Il analysa également les portraits de Jean-Baptiste Van Loo qui vécut à Londres entre 1737 et 1742, jouissant d'une réputation exceptionnelle.
Portrait d'Abraham Acworth Esquire - 1745
Les premières oeuvres de Hudson datent de 1728, lorsque, originaire du comté du Devon, il fit la connaissance de la vieille famille Courtenay et brossa leurs portraits puis la série d'échevins destinée à l’Hôtel de ville de Barnstaple. Après quoi, il se mit à partager son temps entre Londres, le Devon et Bath tout proche. Au milieu des années 1750, il fut même le portraitiste le plus coté de la capitale avec pour seul rival Allan Ramsay. Il était très attiré par Bath où comme on l’a vu, la grande aristocratie, la gentry, la riche bourgeoisie montante et des personnalités militaires, littéraires et artistiques venaient prendre les eaux et parader. Tous louaient la manière de Hudson “pour sa capacité à saisir la ressemblance”.
A Londres, son atelier était plus actif qu’une ruche ; y ont débuté de futurs grands du portrait et du paysage (voir ci-dessus Joseph Wright of Derby), en particulier Joshua Reynolds qui progressivement reçut des commandes des anciens mécènes de Hudson. En effet, il dépassa son maître à tel point qu’à la fin des années 1750, le style d'Hudson parut plus fade. Car on sentait bien que Reynolds captait mieux la personnalité profonde de ses modèles, loin des poses classiques d'Hudson, resté dans ses schémas habituels : solennité et formalisme.
Portrait de jeune fille costumée en bergère - non daté
Hudson peignit - ou plutôt son atelier - une quantité considérable de portraits, environ 80 furent gravés. Parmi ses toiles les plus emblématiques figurent Charles Spencer, 3e duc de Marlborough et sa famille ; le roi George II (en 1744) et deux portraits de George Frederic Handel dont le plus célèbre, daté de 1748, figure dans Haendel et l’Affaire des Royal Fireworks.
Cependant, l'abondance des commandes nécessitait l'organisation d'un grand studio avec de nombreux assistants. Ainsi, il utilisa, comme nombre de ses confères, les talents remarquables des frères van Aken pour peindre les vêtements et les accessoires précieux de leurs modèles, car ils étaient passés maîtres dans “l’art de la draperie.” D’autres assistants étaient spécialistes des mains, partie du corps très difficile à reproduire.
Ce qui amena le commentaire de Ellis Waterhouse - historien de l'art britannique et conservateur en chef des Galeries Nationales d'Écosse - comme " le dernier des artistes sans conscience, dont Lely fut le premier en Angleterre, qui ont réalisé des portraits selon des modèles standard et ont exécuté relativement peu de travail eux-mêmes ".
Cette manière de procéder n’était pas nouvelle, puisque le flamand Rubens sous-traitait une partie de ses immenses toiles, de même que le français Jacques-Louis David, très occupé par la politique, l’écossais Allan Ramsay, l’anglais Henry Pickering, l’anglo- néerlandais Peter Lely, etc. En ce qui concerne la musique, il est bien connu que Henry Purcell tirait parti des créations de ses élèves. Années 1760, Hudson délaissé eut du mal à trouver de nouvelles commandes. Il se retira dans son manoir de Twickenham où il profita de sa collection d’oeuvres d’art.
William Pitt l’aîné - (1708-1778)
“Où finit la loi, commence la tyrannie.” Cette assertion dans laquelle on retrouve l’esprit de Montesquieu, a été exprimée par le grand homme d’état britannique William Pitt dit l'Aîné. Jeune officier dans un régiment de dragons, il dut abandonner l’armée à cause de sa mauvaise santé. Il souffrait de la goutte - maladie chronique due à la présence d'un excès d'acide urique dans le sang - depuis l’âge de 16 ans, il en fut un martyr toute sa vie. Ce qui ne l’empêcha pas de mener une carrière politique énergique et mouvementée tout en faisant de nombreuses incursions à Bath pour effectuer des cures. Il acquit d’ailleurs une maison au Circus qu’il conserva pendant dix ans.
Portrait de William Pitt l'aîné par William Hoare - vers 1754
Doté d’une formidable combativité et d’un grand sens de l’analyse, à 27 ans il entra à la Chambre des Communes comme député whig, (partisan des pouvoirs du Parlement face au pouvoir royal), ce qui lui valut la détestation du roi George II - également Électeur de Hanovre - qui menait en Allemagne une politique déplaisant à Pitt. Pitt fut aussi un adversaire du premier ministre en place, Robert Walpole, l’accusant de faiblesse envers l'Espagne. En 1746 il fut nommé vice-trésorier d'Irlande et payeur général de l'armée ; or iI quitta la fonction 9 ans plus tard afin de pouvoir critiquer librement le ministère de Walpole.
Les difficultés britanniques au début de la Guerre de Sept Ans - dont il organisa la stratégie militaire - le firent rappeler au pouvoir et, en 1757, on le nomma Secrétaire d'État avec des pouvoirs étendus, faisant de lui le chef du gouvernement de coalition. Il géra les opérations militaires qui se déroulaient en Europe tout en dirigeant l’expansion coloniale car il fut l'instigateur de la campagne qui permit aux Britanniques la conquête du Canada et celle des Antilles françaises.
Plus tard, Pitt, lors de la guerre d'indépendance américaine, soutint fermement, les efforts britanniques pour mettre fin à la rébellion des Américains. Bien qu’il fût un administrateur hors pair et un orateur convaincant, il avait un tempérament instable, mal vécu par ses pairs, dont la maladie était la cause. On lui reconnaissait cependant un immense patriotisme : “Il aimait l’Angleterre, écrivit l’historien Thomas B. Macaulay, comme un Athénien aimait la cité de la couronne violette¹¹, comme un Romain aimait la ville aux sept collines”.
La mort de William Pitt par John Singleton Copley
détail - 1778
A Bath, il fut récompensé du titre honorifique Freedom of the City (comme on a vu plus haut pour l’amiral Nelson). Lécrivain William Thackeray en donna une charmante appréciation dans ses conférences Les Quatre George, études sur la cour et la société anglaises : “ Et si vous et moi avions été en vie à l'époque et nous promenions dans Milsom Street, nous aurions dû retirer notre chapeau au moment où une silhouette effroyablement longue et maigre, enveloppée de flanelle, passait sur sa chaise et où un visage livide regardait par la fenêtre, de grands yeux féroces fixés sous une perruque touffue et poudrée, un froncement de sourcils terrible, un nez romain terrible. Et nous aurions soupiré: Le voilà, voilà le grand député de la Chambre des Communes, Voilà M. Pitt!” Pitt mourut au début de 1778, quelques temps après une attaque cardiaque spectaculaire en pleine session parlementaire, en apprenant l'alliance des Américains avec les Français, conséquence de la défaite de Saratoga¹²
Richard Brinsley Sheridan (1751-1816)
Nombreux sont les critiques contemporains pour affirmer qu’il fut l'auteur de la meilleure comédie, du meilleur opéra et de la meilleure farce du XVIIIe siècle anglais. C’est peut-être beaucoup, mais il devint célèbre surtout pour The School of Scandal (L'École de la Médisance) considéré comme son chef d’oeuvre, mis en scène en mai 1777 au Drury Lane à Londres. Et dont tous les lycéens britanniques apprennent les scènes les plus fameuses. L’argument est dirigé contre les bavardages de société qui dénaturent les faits, les commérages et les peccadilles qui finissent parfois en crimes affreux. Tout cela “avec une dextérité admirable, il a fait le feu d'artifice le plus brillant qu'on ait jamais vu” selon le philosophe Taine. “Ses comédies sont enlevées, leur rythme est rapide, celui de la vie de ces jeunes écervelés, un peu étourdis, mais garçons de cœur, qu'il aime mettre à la scène.” Pour le plus grand plaisir de son public, Sheridan a ainsi permis la résurrection de la comédie, dans la verve irlandaise. Empruntant parfois à Fielding et à … Molière.
En 1770, Thomas Sheridan, comédien irlandais vint à Bath avec sa talentueuse famille pour prendre le poste de professeur de diction. Son fils de 19 ans, Richard, venait juste de quitter la public school de Harrow et caressait le rêve de devenir dramaturge. La mère de Richard était une romancière réputée, et ses sœurs étaient également écrivaines. Or, il rencontra Elizabeth Linley - son portrait plus haut par Gainsborough - et fut immédiatement frappé par sa beauté et ses dons. Le père de la jeune fille était musicien et organisait des concerts à Bath, le fils aîné Thomas qui eut une courte vie, était un enfant prodige, chanteur, violoniste et compositeur. La famille vivait au Royal Crescent. .
Sheridan par John Hoppner - vers 1790
Le coup de foudre de Richard affecta sa jeunesse considérablement car il eut à se battre en duel par deux fois avec le capitaine Mathews, un homme marié, pour les faveurs d’Elizabeth. Lors du second duel, il fut sérieusement blessé et mit plusieurs semaines à se rétablir. Elizabeth dut se réfugier dans un couvent en France ; ils se marièrent secrètement à Calais en 1772, puis de retour en Angleterre, à Londres en 1773. Deux ans plus tard, Sheridan termina une joyeuse comédie The Rivals (Les Rivaux) basée sommairement sur ces expériences de duel, dans laquelle il entremêle fausses identités, intrigues et romances. Elle fut montée sur la scène de Covent Garden. Le succès de la seconde représentation installa immédiatement la réputation d'auteur de Sheridan.
Portrait inachevé de Georgiana Spencer, duchesse de Devonshire, ancêtre de la princesse Diana, par Joshua Reynolds - vers 1781
Cette forte personnalité - que l’on devine sous le pinceau de John Hoppner et dont on dirait familièrement qu’ "il savait ce qu’il voulait” - se mêla également de politique. Entré au Parlement, dans le parti whig, en 1780, grâce aux électeurs de Stafford dans les Midlands et au soutien de la duchesse du Devonshire, admirée pour sa beauté, son esprit et son influence, Sheridan y restera jusqu'en 1812, se montrant un exceptionnel tribun et un député efficace. Il devint intime du Prince de Galles et développa une réputation d’homme d’esprit.
On rapporte qu’un soir de 1809 il fut aperçu avec un ami dans un café du Covent Garden, en train de se verser du vin avec désinvolture alors que son théâtre, le Drury Lane était en flammes.
Ses amis exprimèrent leur étonnement devant cette calme indifférence au désastre. La réponse de Sheridan fut rapportée dans toute la capitale “Après tout, un homme peut se permettre de boire un verre de vin au coin de son propre feu !” Humour anglais ou irlandais ?
Il était toujours à court d’argent et était connu pour vivre à crédit. “Je viens juste d’acheter une nouvelle maison dit-il à Lord Guildford, sans grande dignité, maintenant tout se passera comme sur des roulettes !” Le lord se contenta de ricaner. Car, les dettes furent une plaie tout le reste de sa vie et pendant ses derniers jours, des agents étaient postés chez lui pour tenir ses créanciers à distance. Quand il mourut en juillet 1816, son corps fut emporté clandestinement dans une couverture, pour éviter que les huissiers ne volent le corps !
Intérieur du Drury Lane, un an avant l'incendie.
de 1809
Samuel Pepys - (1633 - 1703)
Portrait de Samuel Pepys par
John Hayls - 1666.
Malgré ses origines modestes - père tailleur, mère blanchisseuse - Samuel Pepys poursuivit des études à Cambridge après l’obtention d’une bourse et parvint à de hautes fonctions : clerc aux Finances et au Trésor, haut fonctionnaire de l'Amirauté et membre du Parlement (député de Harwich). De nos jours, il est connu principalement pour son Journal personnel (diary) tout à fait original qui couvre la période riche en événements, 1660-1669. Il était curieux de tout et très pertinent, voire impertinent, deux qualités qui ne s'opposent pas. Sa vie fut un roman, celui d'un fonctionnaire-aventurier.
Dès son adolescence, il fut un extraordinaire témoin de son temps. A 15 ans déjà, le 30 janvier 1649 il se débrouilla pour assister à l'exécution du roi Charles Ier. !
Par son père, Pepys était cousin d’Edward Montagu, futur comte de Sandwich, l'un des jeunes lieutenants d'Oliver Cromwell, officier de marine et homme politique remuant. Pepys lui dût son ascension sociale et son enrichissement personnel peu orthodoxe, aux combines risquées mais lucratives. L'enfance et l'adolescence de Pepys se déroulèrent sur fond de guerre civile, de puritanisme, et d'instauration du Commonwealth par Cromwell. Après son mariage en 1655, il fut employé au ministère des Finances et du Trésor en même temps que de l’Echiquier grâce à Montagu, devenu Conseiller d'État.
Lorsque celui-ci partit en mer, d’abord vers la Baltique puis dans le détroit de Gibraltar, il chargea Pepys de le tenir au courant de tout ce qu'il se passait à Londres et ce dont il était spectateur.. Ce qui lui a peut-être donné le goût pour un certain “ journalisme” à l’affût de tout. Sous le règne de Charles II, Montagu le fit nommer clerc des Actes au Conseil de la Marine, puis rapidement Secrétaire de l'Amirauté sous le règne de Jacques II. Ambitieux et brillant, Il apprit rapidement les arcanes de l'administration navale et devint un membre influent de l'institution avec Montagu pour mentor et ... patron complice.
Son fameux diary - mode très répandue au XVIe siècle - fut presque intégralement codifié avec une sténographie personnelle. Pepys y relate tout ce qui pouvait avoir une portée historique ou politique, comme les grands événements dont il a été le témoin au cours des années 1660 : l'épidémie de peste de Londres (1665-1666), la deuxième guerre anglo-néerlandaise (1665-1667) et le grand incendie de Londres (1666). lequel est, sans conteste, l'événement le plus important auquel Pepys ait assisté. Le reportage qu'il en fait durant les 4 jours et 4 nuits d'horreur, est une pièce d'anthologie, d’autant plus qu’il se trouvait “aux premières loges”. Pour les amateurs de numérologie, 666, est le nombre de la Bête (le diable) faisant référence au mal et à la destruction.
Le roi Charles II par le portraitiste
Peter Lely - 1675
Le grand incendie de Londres en 1666 - peinture anonyme de 1675
En effet, “la Cité de Londres - siège de l’incendie - située entre la Tamise et le mur d’enceinte de Londres, abritait 80 000 habitants. Au bout de quelques heures de la première nuit, les flammes détruisent 300 bâtiments. Se rendant compte de la gravité de la situation le dimanche matin, un habitant de la ville et fonctionnaire de l’État, Samuel Pepys, décide enfin d’informer le Roi Charles II et de demander son aide. Ce dernier, se montrant plus réactif que le maire de la ville, met en place une stratégie pour l’extinction de l’incendie. Il est à noter que, en plus d’avoir alerté le roi, Pepys documente cet évènement et en est considéré l’une des sources les plus fiables. Ayant lieu une année après la grande peste, qui frappa Londres entre 1665 et 1666 et provoqua des milliers de décès, le Grand Incendie vient fragiliser davantage la ville et ses habitants, dont la majorité se retrouvent sans domicile”.¹³ Au début de 1773, un autre incendie ravagea un quartier de la City, laissant juste à Pepys le temps de sauver ses 3000 livres précieux, ses manuscrits et ses papiers personnels. La couronne le relogea à proximité.
Dans son journal, Pepys, “ tout entier à son plaisir dans l'évocation de ses succès professionnels, de ses infidélités conjugales ou de moments plaisants passés avec des amis ; amoureux de l'existence” décrit aussi en termes réalistes, parfois crus, ses sorties aux spectacles, ses relations avec le roi et ses ministres, la mode, la nourriture et les boissons qui ont quelques conséquences sur sa santé, et sa visite à Bath , ce qui fournit une documentation de première main sur la société anglaise. C’est un document fascinant de plus d’un million 250 000 mots et, comme l’a formulé un chercheur anglais : “Après plus de 300 ans, il n’y a pas une page qui n’arrête le lecteur et ne fasse progresser la perception de l’humanité”. “Avec Pepys chroniqueur, c'est de la vie même qu'il s'agit.”
Le manuscrit déposé par le neveu de Pepys resta tel quel dans les archives du Magdalene College de Cambridge pendant plus d’un siècle avant d’être déchiffré en 1822 et publié par deux érudits en 1825, dans une édition contenant également de nombreuses lettres. Un trésor pour les historiens.
Edition du Journal par le Mercure de France - Portrait gravé d'après Godfrey Kneller
Caricature de curistes dans la Pump Room début XVIIIè s.
Pepys commenta sa visite to the Bath (appellation du XVIIè siècle) le 12 juin 1668. Quand il arriva, il trouva “la ville majoritairement conçue en pierre et bien tenue, bien que les rues soient généralement étroites”. Le matin de son arrivée, il se leva à 4h du matin et se rendit au Cross Bath, où il demeura deux heures dans l’eau très chaude. Il fut agréablement "surpris par le nombre de jolies femmes se baignant, bien qu’ il ne soit pas propre de faire cohabiter autant de corps dans la même eau”. Puis, enveloppé d'un drap de bain, il fut transporté en chaise jusqu’à son domicile, “se mit au lit et transpira pendant une heure”. Le lendemain, Il paya le préposé aux bains 10 shillings pour avoir le privilège de se baigner seul ! Et l’homme qui l’avait transporté 3 shillings 6 pence, sommes très généreuses pour l’époque.
On ne sait combien de temps dura sa cure mais des ennuis oculaires - certainement dus au tabagisme, à l’alcool et à une nourriture riche en graisses - l'obligèrent à dicter ses notes. Et en mai 1669, il préféra abandonner la rédaction de son Journal. S’il ne fit pas “la Grande Epoque de Bath” comme annoncé dans le titre de l’article, Pepys fut, comme Daniel Defoe et John Wood père, un témoin des méthodes folkloriques peu hygiéniques du Bath de la fin du XVIIè siècle.
Tobias Smollett ( 1721-1777 )
Le populaire romancier écossais Tobias Smollett connu surtout pour ses romans picaresques, était, à l’origine, convaincu qu’il avait la vocation de médecin et fit les études adéquates à la respectable Université d’Aberdeen où il obtint un brevet de chirurgien. Mais sa carrière de médecin démarra mal ; il essaya bien de s’installer à Bath ; il échoua et sa déception lui apporta amertume et frustration de ne pas avoir rejoint le clan des médecins en vogue dans la cité ni partagé leur succès.
Portrait de Tobias Smollett par Nathaniel Dance-Holland - 1764
Il est vrai qu'il était un peu scrongneugneu !
Comme, il avait aussi quelques ambitions littéraires, pour tenter de les réaliser il partit pour Londres en 1739 et s’essaya à la dramaturgie. La tentative fut infructueuse - on pense aux échecs successifs d’Oliver Goldsmith ! - et le poussa à se lancer dans une carrière de chirurgien naval, ce qui lui fit prendre un nouveau tournant pendant quelque temps, il navigua en Jamaïque et y resta plusieurs années.
À son retour, il se maria et s'installa comme médecin à Londres tout en écrivant. Enfin en 1748, il connut sa première réussite littéraire avec Les Aventures surprenantes de Roderick Random - héros espiègle qui vit de sa ruse et de ses bonnes fortunes dans une société corrompue - et la traduction en anglais de L'Histoire de Gil Blas de Santillane du français Lesage, célèbre roman d'inspiration picaresque étudié dans les bons lycées français.¹⁴
Les Aventures de Peregrine Pickle - 1751
Ses gains lui permirent d’assurer une vie décente d’autant plus qu’il comprit que le roman d’aventures - dans lequel il se projetait inconsciemment - était l’opportunité de sa vie. En 1750, après un premier voyage en France, il publia un autre roman picaresque, Les Aventures de Peregrine Pickle contant l'histoire d'un dandy égoïste - jeu de mots sur pickle, cornichon au vinaigre - qui connaît aubaines et déboires dans la société européenne, en de nombreux d’épisodes
Encouragé par ce filon, il publia Les Aventures de Ferdinand, Count Fathom. Le talent de Smollett fut désormais apprécié et il fut admis membre de la communauté littéraire de Londres, aux côtés de David Garrick, Oliver Goldsmith, Samuel Johnson et Laurence Sterne, l’auteur du célèbre Tristram Shandy. Belle reconnaissance s’il en est.
Il eut l’excellente idée de traduire Don Quichotte de Cervantes qui devint The History and Adventures of the Renowned Don Quixote. Ce qui lui inspira en 1760, La vie et les aventures de Sir Launcelot Greaves, aristocrate abandonnant le domaine de ses ancêtres, muni d'un heaume et d'une armure, et partant sur les routes de l'Angleterre du XVIIIè siècle. Comme Don Quichotte, il va poursuivre le souvenir de sa fiancée disparue.
En 1763, prématurément vieilli par son irritabilité nerveuse permanente - Thackeray écrivit qu’il était "sympathique, honnête et irascible, usé et battu, mais toujours brave et généreux", alors que d’autres le considéraient comme “un barbon souffreteux et colérique” - il effectua un long voyage en famille, de la France à l'Italie. pour un séjour de repos et de découverte sur les rivages méditerranéens. C’est ainsi qu’il découvrit la Riviera. Faisant preuve de curiosité, il prit de nombreuses notes sur les régions visitées dont il fit part à ses amis avec beaucoup de pittoresque. Il demeura à Nice jusqu'au printemps 1765,
Voyages à travers la France et l'Italie - 1766
séjour entrecoupé d'un voyage en Toscane et à Rome, Il recouvrit la santé. À son retour, il publia Travels through France and Italy, (Voyages à travers la France et l’Italie), constitué de lettres écrites d’une plume parfois admirative, parfois moqueuse voire abrasive. Il trouva les Français, “légers, sales et importuns” ; “leurs compagnes sont coquettes et dissipées”. Et sur la religion "Je peux dire sans risque qu’ici la superstition règne à l’ombre très épaisse de l’ignorance et du préjugé.” ! Ce qui fit dire à notre Taine national : "On prend en haine son caractère rancunier, opiniâtre, qui n’est bon qu’à choquer ou à tyranniser les autres.".
Publié en 1766, cet ouvrage figure parmi les classiques de la littérature voyageuse européenne. Après deux ans d’absence, il revit l’Angleterre avec soulagement "Je suis attaché à mon pays car c’est la terre de la liberté, de la propreté et de la commodité, mais autre chose me le rend plus cher encore : il est le cadre de toutes les relations auxquelles je tiens". 1769 vit la publication de The History and Adventures of an Atom, roman à clé donnant une vision satirique de la politique anglaise pendant la guerre de Sept Ans, notamment celle de William Pitt.
Dans son dernier roman The Expedition of Humphry Clinker ( L’Expédition de Humphry Clinker,) publié en 1770, considéré comme la plus drôle et la meilleure œuvre de Smollett, il créa un personnage, Matthew Bramble vieux garçon ronchon, qui ne perd aucune occasion de critiquer la cité de Bath et ses visiteurs modeux. Faisant allusion à son échec de Bath, il le rédigea sous une forme épistolaire, réfractée au prisme des avis opposés des destinataires. Bramble se plaint du ”bruit, du tumulte et de la bousculade” ; des “chaises à porteur qui traînent sous la pluie, qui trempent dans la rue jusqu'à ce qu'elles deviennent autant de boîtes de cuir mouillé." Et de “la folie des constructions… conçues sans jugement, collées les unes aux autres avec si peu de considération pour le plan d'ensemble et les convenances” ! "Le Cirque est une jolie babiole, faite pour le spectacle, mais incommode par sa situation, à une si grande distance de tous les marchés, bains et lieux de divertissement public." !
En fait, ce que j’ai appelé moi-même Ville-Poème avec des arguments opposés ! Toutefois, ce ne fut pas un hasard si Smollett revint plusieurs fois à Bath, auréolé de sa gloire littéraire, et logea dans South Parade, rue en vogue qu’on empruntait souvent pour... “parader”. !
L'expédition de Humphry Clinker - 1770
The last but not the least, George Frederic Haendel (1685 - 1758)
George Frederic Haendel par
Thomas Hudson - 1756
L’immense compositeur observait une distance certaine avec ses confrères compositeurs tels Bach, qu’il n’a jamais rencontré, les maîtres italiens de l’opera seria et même le jeune et talentueux Gluck. Il réservait son amitié à ceux qui pratiquaient d’autres professions comme des médecins, des peintres, des intellectuels ou des comédiens. L'élargissement de son réseau social correspondait à ses aspirations modernistes, mais il s'agissait également d'une stratégie de survie face à l'opposition aristocratique féroce des années 1733 à 1746¹⁵
Il n’est donc pas étonnant que Haendel fût un ami de James Quin, le célèbre comédien et homme d’esprit - lire l’article sur David Garrick - qui faisait souvent référence à Bath comme “une agréable pente vers la tombe” et disait qu’il ne connaissait pas “un meilleur endroit pour un vieux coq pour venir se percher”. C’est lui qui persuada le compositeur de se rendre à Bath en 1749, afin de tirer profit de ses eaux curatives.
Homme d’une prodigieuse vitalité, d’un caractère indomptable, impétueux, extrêmement actif, une force de la nature qui ne s'en laissait pas imposer, mais aimant un peu trop les plaisirs de la table - ne disait-il pas qu’ ”une oie entière n’était pas suffisante pour deux personnes“?, il avait connu plusieurs ennuis de santé qui l’avaient conduit dans des villes thermales comme Aix-la-Chapelle pour des bains de vapeur ou Cheltenham pour ses eaux très minéralisées ou Tunbridge Wells la principale ville de cure de la société londonienne à 35 miles de Londres. Il y séjourna à plusieurs reprises pour boire les eaux ferrugineuses, se reposer, se divertir, et écouter de nombreux concerts privés promus par Nash, qui faisait ses classes dans la petite ville avant de se transporter à Bath.
James Quin par William Hogarth - 1739
La somptueuse nef centrale de l'abbaye de Bath, avec sa voûte
en éventail
A Bath, Il logea chez Quin et revint l’année suivante puis, en 1751, accompagné de son fidèle secrétaire-copiste et assistant qui dirigea les exécutions de ses derniers oratorios, John Christopher Smith. Les eaux procurèrent un soulagement passager sur ses douleurs rhumatismales, malheureusement en août 1752 on annonça qu’il avait été victime d’une "attaque paralysante le privant de la vue”. Opéré par le propre chirurgien du Prince de Galles et ,malgré un léger mieux, il devint aveugle. Il n’était hélas pas présent à Bath en 1755 quand fut donné le Messie dans les Wiltshire’s Rooms, aujourd’hui disparues. De nos jours, il est donné dans la majestueuse abbaye, l’ endroit tout indiqué pour cet oratorio, et dans lequel j’ai eu le bonheur d’entendre le Gloria de Vivaldi. Ecoutez ici l'Alleluia par le choeur du King’s College de Cambridge interprété en 2009. Concert commémorant le 250è anniversaire de la mort de George Frederic Haendel et le 800è anniversaire de l’ Université de Cambridge.
En 1758, Haendel se trouva à nouveau à Tunbridge Wells. À cette occasion, il subit un couching (prétendu traitement de la cataracte) effectué par un certain John chevalier Taylor qui se disait chirurgien itinérant. Ce dernier eut le toupet de publier aussitôt un poème dans le London Chronicle, regorgeant de proclamations de sa propre grandeur à propos de la restauration, à lui seul, de la vue de Haendel. Mais la vue du compositeur ne fut jamais rétablie.
Il planifia un autre séjour pour 1759, or son état s’aggravant lui interdit de voyager. Il s'éteignit une semaine seulement après avoir annulé toutes ses dispositions, J. C. Smith poursuivit son travail selon la volonté de Haendel et vint s’installer à Bath au moment de sa retraite en 1774. Haendel lui légua la forte somme de 2000 £ ainsi que ses inestimables manuscrits et son cher clavecin. Bien que sollicité par le roi de Prusse, pour les vendre, Smith fit en sorte que les manuscrits ne quittent pas l' Angleterre en les offrant au roi George III. Ils sont en lieu sûr à la British Library. Il acheta une maison dans la belle Brock Street où il mourut à l'âge respectable de 83 ans.
John-Christopher-Smith par Johann Zoffany 1763
Delphine d'Alleur - 2024
Notes
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1 - Oliver Goldsmith, The Lives of "Beau" Nash and Others - Londres, 1762
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2 - Michele Cohen, ''Manners Make the Man : Politeness, Chivalry, and the Construction of Masculinity, 1750-1830
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3 - Les plaisanteries et anecdotes de Nash ont été rassemblées dans un volume, The Jests of Beau Nash édité en 1763
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4 - L’étude L'histoire du jeu en Angleterre par John Ashton fournit de nombreuses anecdotes tragi-comiques, recueillies par Oliver Goldsmith, sur la folie du jeu à Bath au XVIIIè s et sur le rôle de Nash.
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5 - La plupart figurent dans l’ouvrage They Came to Bath de William Lowndes - 1982 - Redcliff Press
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6 - Ouvert en 1663 durant le règne de Charles II
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7 - Tiré des Mémoires Historiques de Marie-Thérèse-Louise de Carignan Princesse de Lamballe, publiés en 1801
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8 - Les romans gothiques anglais (1764-1831) - Collections de la Bibliothèque Nationale de France - 2021
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9 - Professeur de littérature et d'histoire de l'art britanniques du XVIIIe siècle
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10 - Du xvie siècle jusqu'au début du xixe siècle, leur refus de se conformer à la Réforme anglicane instaurée par Henri VIII en 1534 fut considéré comme un délit passible de peines civiles
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11 - Ion, qui signifie violette, fut roi d’Athènes ; la Grèce, en Asie mineure, s’appelait d’ailleurs Ionie. Par jeu de mots, Athènes était dite “la ville de la violette couronnée”, d’après le lexicographe E. Cobham Brewer
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12 - La campagne de Saratoga fut une série de batailles à l’automne 1777 lors de la guerre d'indépendance des États-Unis pour le contrôle de l'Hudson sur les Anglais. Elle se termina par la bataille de Saratoga lors de laquelle les troupes de l'Armée britannique furent encerclées et capturées. La victoire américaine incita la France à entrer en guerre aux côtés des Américains, leur fournissant argent, hommes et le support de La Marine Royale.
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13 - pepysdiary.com/diary/1666/09/ à lire, tant il est distrayant
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14 - Un roman picaresque se compose d'un récit sur le mode autobiographique de héros miséreux, vivant en marge de la société. Au cours d’aventures variées , le personnage entre en contact avec toutes les couches de la société.
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15 - Handel, Hogarth, Goupy: Artistic Intersections in Early Georgian England- Ilias Chrissochoidis
Références
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www-digitens-org.translate.goog/fr/notices/beau-nash.html? ASKE Katherine & COSSIC Annick, "Beau Nash",
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janelark-blog.translate.goog/tag/assembly-rooms-bath/
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janeausten.co.uk/fr/blogs/authors-artists-vagrants/richard-beau-nash-the-original-beau
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www.shakespeare.org.uk/explore-shakespeare/shakespedia/david-garrick/
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marie-antoinette.forumactif.org/t2454-mesdames-de-lamballe-et-de-polignac-aux-eaux-de-bath#69436
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wikipedia Mme de Lamballe
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www.persee.fr/ exposition Joseph Wright of Derby, Grand Palais, Paris, 17 mai-23 juillet 1990 Frédéric Ogée
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marie-antoinette.forumactif.org/t4776-la-manufacture-wedgwood-et-sa-production-du-xviiie-siecle
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universalis.fr/encyclopedie/richard-brinsley-sheridan/2-l-ambiguite-d-une-oeuvre
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www.departement06.fr/documents/Import/decouvrir-les-am/recherchesregionales197-11 Tobias Smollett, L’inventeur de la Côte d’Azur -Pierre Joannon